Décès d'un dirigeant d'entreprise : comment garantir la bonne marche de la société ?

Quels sont les différents cas de paralysie d'une société en cas de survenance d'un décès ou d'une incapacité du dirigeant ?

Le décès ou l’incapacité peut entraîner des cas de paralysie d'une société concernant la gouvernance et la stratégie d’une entreprise. Si aucun mécanisme de transition n’a été envisagé en amont, différents types de conflits, voire de paralysie, peuvent émerger. Les dirigeants d’entreprise doivent comprendre par là que les conséquences de leur décès ou de leur incapacité dépendent largement de la manière dont ils ont planifié et préparé leur succession. Des mécanismes peuvent permettre d’atténuer les risques associés à de tels événements et une planification adéquate de la succession peut aider à minimiser l'impact de ces situations.

Pourquoi dit-on que les PME et ETI sont plus touchées dans ces situations ?

Les PME et ETI négligent trop souvent l’intérêt d’une planification formelle de la succession, les rendant ainsi plus vulnérables face aux perturbations en cas de décès ou d'incapacité d'un dirigeant. On l’explique facilement du fait que leur bon fonctionnement repose souvent exclusivement sur les compétences et l’expérience du dirigeant. Elles doivent ainsi accorder une attention particulière à la planification de la succession et de l’incapacité, même en cas de ressources limitées, afin d'assurer la pérennité de l'entreprise dans une telle situation.

Quid de la situation où le dirigeant est associé ?

Rappelons que le droit de vote est un droit fondamental détenu par tout associé et qui ne peut être retiré que dans les cas prévus par la loi : aucune disposition statutaire ou conventionnelle ne peut l'écarter, même temporairement. Par suite, le décès prématuré du dirigeant ou son incapacité peut affecter le fonctionnement de la société lorsque certaines décisions de gestion relèvent des décisions collectives et que le transfert de ce droit de vote attaché à la qualité d’associé n’a pas été anticipé.
Lorsque la détention du capital est très concentrée, l’activité repose en grande partie sur le dirigeant qui est généralement le fondateur de l’entreprise. S’il cumule son mandat social avec la qualité d’associé et qu’il devient incapable, les blocages sont multiples : plus de mandataire social, plus de majorité en assemblée des associés et plus de gestion possible des titres détenus par le dirigeant dans le capital de la société. En cas de décès du dirigeant de l’entreprise, et à défaut de clauses d’agrément, les parts sociales sont détenues par les héritiers en indivision. Ces derniers doivent être représentés par un mandataire unique chargé de voter pour le compte de l’indivision et choisi parmi les indivisaires ou en dehors d'eux. En cas de désaccord entre les indivisaires sur la désignation du représentant, il sera nommé par le président du tribunal judiciaire à la demande du copropriétaire le plus diligent. Parfois, les parts seront démembrées si le conjoint opte pour l’usufruit, les enfants récupèrent alors la nue-propriété des titres de la société. Enfin, certains héritiers peuvent demander à quitter la société en se faisant racheter leurs parts. 
 

Quels conseils peut-on donner à un chef d'entreprise pour éviter un cas de paralysie ?

Le dirigeant qui a un rôle clé dans la gestion de l’entreprise a le devoir et la responsabilité d’anticiper et de prévoir sa disparition prématurée ou son incapacité dans l’objectif de pérenniser la gestion de son entreprise. Il doit concevoir de se protéger, de protéger ceux qui dépendent économiquement de lui et d'anticiper la transmission de ses pouvoirs et de son patrimoine professionnel. Il doit formaliser et mettre en œuvre un plan de succession selon plusieurs axes. 
Le premier axe consiste en un plan de continuité de gestion et des activités de l’entreprise en organisant la transmission de la « gouvernance » et de ses pouvoirs de « mandataire social » pour minimiser les interruptions opérationnelles de l’entreprise. A cette fin, il devra prévoir un aménagement des statuts pour mettre en place des mécanismes de gouvernance sur mesure et notamment la nomination d’un nouveau mandataire social, via les mandants de protection future ou à effet posthume. 
Le deuxième axe consiste à prévoir un plan de transmission du capital de l’entreprise et des droits de vote attachés à la « qualité d’associé » du dirigeant. En ce sens, il peut procéder à un aménagement des statuts et intègrera des clauses de préemption ou des clauses de sortie conjointe pour gérer des situations post-succession. Il pourra aussi inclure un pacte d’associés et intégrer des clauses de rachat d’actions ou de parts pour permettre un transfert ordonné des actions ou parts détenues par le dirigeant décédé. Il peut aussi prévoir une donation et/ou un testament pour flécher la transmission des parts à coupler avec des techniques assurantielles et/ou de family Buy out*. Enfin, il peut avoir recours au pacte Dutreil pour, sous conditions, faire bénéficier la transmission d’une entreprise familiale d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois-quarts de sa valeur. Les enjeux fiscaux sont très importants et finalement à la hauteur de la complexité du mécanisme !
Le dernier axe consiste à prévoir la protection financière du dirigeant ou de son entreprise via la mise en place d’un système d’assurance notamment pour fournir les fonds nécessaires à la transition et couvrir les coûts associés, voire le coût de la transmission elle-même ! Plus précisément, on pense au contrat d’assurance homme-clé qui permet de compenser, à court terme, en tout ou partie la perte pécuniaire résultant du décès, de l’invalidité ou l’incapacité du dirigeant par le versement à l’entreprise d’une prestation au moment de la survenance du sinistre en fonction des seules pertes pécuniaires consécutives au décès ou à l’incapacité de l’assuré. 
 

* : Le principe du family by-out est une technique de transmission de l'entreprise au sein même de la famille par voie de donation-partage de titres à un (ou plusieurs) des enfants du chef d'entreprise, tout en utilisant une holding de reprise pour le financement du versement, aux autres enfants, d'une somme d'argent.

Quel est l'intérêt d'un mandat de protection future à l'initiative du dirigeant ?

C’est un contrat qui permet à toute personne physique en qualité de « mandant » d’organiser à l’avance sa protection en cas d’incapacité future, en choisissant la personne, « le mandataire », qui sera chargée de s’occuper d’elle et de ses affaires, « de protéger les intérêts personnels et/ou patrimoniaux du mandant », le jour où elle ne pourra plus le faire elle-même, en raison de son âge ou de son état de santé ou d’une éventuelle altération de ses facultés mentales ou physiques. C’est un outil d’anticipation du dirigeant d’entreprise qui désigne sans intervention judiciaire, une ou plusieurs personnes en charge de la protection de sa personne, de son patrimoine privé et de son patrimoine professionnel. Son intérêt réside surtout dans le fait de mettre en place une protection juridique sur-mesure mais aussi de fixer librement son périmètre d’action et de choisir la personne la plus à même de gérer l’entreprise en qui il a toute confiance avec une compétence particulière liée à l’activité de l’entreprise. Enfin, le dirigeant qui établit le mandat conservera tous ses droits malgré l’altération de ses facultés et sera représenté par un mandataire.

Comment organiser au mieux les pouvoirs du mandataire ?

La régularisation d’un mandat de protection future par acte notarié permet de confier au mandataire des pouvoirs étendus, puisque celui-ci pourra faire des actes patrimoniaux importants, comme vendre des actifs de l’entreprise si le pouvoir lui en a été conféré dans le mandat, ce qui n’est pas possible en cas de signature d’un mandat sous seing privé. Notez au passage l’intérêt d’un mandat de protection future établi sur mesure par le dirigeant d’entreprise qui permet au mandataire d’exercer les prérogatives d’associé ou d’actionnaire dans les sociétés dans lesquelles le mandant détient des titres et/ou un compte courant d’associé lors de la prise d’effet du mandat à la condition que la représentation du mandant soit conforme au droit commun des sociétés.
Dans certains types de sociétés, comme les SARL, un actionnaire peut être représenté aux assemblées générales par un associé. Le mandataire peut alors représenter le mandant à toutes les assemblées générales et décisions collectives des associés. Il participera au vote en assemblées ordinaires et extraordinaires, et, selon les cas, participera aux décisions recueillies par consultation écrite ou par acte contenant décisions unanimes d’associés, le tout sous réserve des dispositions particulières des statuts.
Il prendra part au vote pour toutes les délibérations de la société et votera pour préserver au mieux les intérêts du mandant. Le mandataire pourra prendre, au titre des délibérations, toutes décisions consistant en des actes de disposition. Le mandataire pourra procéder à la cession des titres du mandant, en tenant compte des clauses d’agrément, si elles existent.
Il pourra également effectuer dans l’intérêt du mandant tout acte de disposition sur les titres, tels que : échange, apport à une société, réduction de capital, etc. 
Toutefois, la mise en œuvre du mandat de protection future met fin aux fonctions de direction du mandant au sein de sa société et il n’est pas possible de confier la fonction de direction et donc l’exercice de ses prérogatives de mandataire social aux termes d’un mandat de protection future qui devra être organisé de façon combinée avec la loi et les statuts. Ainsi, le mandataire n’exerce pas les droits de la personne dirigeante, mais uniquement les droits de vote attachés au mandant associé.
Le mandataire pourra toutefois prendre toute fonction de mandataire social, s’il est nommé par les associés conformément aux statuts comme président successif, afin d’assurer au mieux les intérêts du mandant titulaire des titres et de la société. Il exercera cette fonction à titre personnel et veillera à ne pas prendre de décision susceptible de le placer en conflit d’intérêt avec sa qualité de mandataire.
 

Quel est l'intérêt d'un mandat à titre posthume ?

Le mandat à effet posthume constitue un second pan des mandats de protection du dirigeant d’entreprise en cas de décès. Il permet de prévoir l’administration, la gestion des biens de sa succession pour le compte et dans l’intérêt d’un ou de plusieurs héritiers identifiés qui ne prendra effet qu'au jour du décès du dirigeant. Il doit être justifié par un intérêt légitime et sérieux notamment parce que les futurs héritiers ne seraient pas aptes à administrer et gérer eux-mêmes le patrimoine professionnel (titres/droits de vote de société) qui nécessite des compétences spécifiques de gestion.

Plusieurs situations peuvent se présenter.
Avant l’acceptation de la succession par les héritiers et/ou légataires des biens successoraux faisant l’objet du mandat à effet posthume : le mandataire ne pourra accomplir que les actes purement conservatoires ou de surveillance et les actes d’administration provisoires concernant les titres sociaux et/ou leur droit de vote tels que recouvrer les sommes perçues lors d'une distribution de dividendes et les déposer chez le notaire, accomplir les opérations courantes nécessaires à la continuation à court terme de l'activité des sociétés dont il administre les titres sociaux ou encore mettre en œuvre les décisions d'administration ou de disposition engagées par le mandant, et nécessaires au bon fonctionnement des sociétés dont il gère les titres.
Après acceptation de la succession par les héritiers et/ou légataires : il y a lieu d’obtenir au préalable un accord du juge pour les mineurs qui contrôle que l’actif recueilli est supérieur au passif pour le légataire mineur.
Retenez enfin que le mandataire sera investi d’un pouvoir d’administration et de gestion mais pas d’un pouvoir de disposition. Il ne pourra pas seul, décider de la cession des actions, y compris pour le paiement des droits de succession, ni décider de céder l’entreprise au regard des conditions du marché. 
 

Quel est l'intérêt d'un testament en la matière ? Quelles sont les conditions de validité ? En quoi, peut-il aider à la bonne marche d'une entreprise en cas de décès en plus des solutions assurantielles et mandats ?

Si une donation n’a pas été prévue du vivant du dirigeant, le testament va permettre en cas de décès de prévoir une répartition volontaire du patrimoine successoral et/ou du patrimoine professionnel - notamment à qui sont dévolues les parts ou actions de la société - entre les héritiers. Pour être valable et surtout produire le résultat souhaité, la répartition volontaire prévue aux termes du testament doit tenir compte premièrement des contraintes législatives liées à l’existence d’une part successorale réservée c’est-à-dire un minimum qui doit revenir aux enfants (soit la 1/2 en présence d’un enfant, soit 1/3 en présence de deux enfants, soit 25% en présence de plus de trois enfants) et liées aux indivisions. En second lieu, des contraintes et obligations fiscales liées à la transmission de parts et/ou actions. A défaut, il y aura lieu de coupler le testament avec d’autres outils pour assurer l’efficacité des dispositions testamentaires. 

Février 2024