La relation des femmes à l'entrepreneuriat

Fondé sur une enquête nationale menée par Ifop pour le compte de l’Observatoire de la création d’entreprise de Bpifrance Création auprès de 5 500 personnes représentatives de la population française, l’Indice Entrepreneurial Français (IEF)  avait dévoilé fin 2021, que la France était un terreau fertile pour l’entrepreneuriat avec 30 % des Français inscrits dans la chaîne entrepreneuriale  du pays. 

Ce focus permet, quant à lui, de constater une tendance au resserrement des écarts hommes/femmes en matière d’entrepreneuriat qui reflète une dynamique portée notamment par des entrepreneures jeunes et conscientes des problématiques sociétales.

IEF 2021 Focus femmes

L’édition 2021 de l’Indice entrepreneurial français (IEF) montre que le clivage entre hommes et femmes tient davantage à une question d’état d’esprit et de sensibilisation que de compétences. Elle permet ainsi d’être optimiste quant au resserrement des écarts hommes/femmes en matière d’entrepreneuriat dans les années à venir, reflet d’une dynamique portée notamment par des entrepreneures jeunes et conscientes des problématiques sociales.


« L’excellente nouvelle de cette édition 2021 de l’IEF est l’implication croissante des Françaises dans l’entrepreneuriat (+ 3 points par rapport à l’édition 2018), et encore plus des femmes des Quartiers prioritaires de la politique de la ville où la progression de l’indice est de + 5 points en l’espace de 3 ans à peine » indique Philippe Mutricy, directeur de l’évaluation, des études et de la prospective à Bpifrance. Et Laurence Tassone, responsable de l’Observatoire de la création d’entreprise, de préciser que « penser à créer ou reprendre une entreprise, voire passer à l’acte devient donc plus naturel pour la gent féminine, même s’il reste encore un peu de chemin à parcourir pour atteindre une « présence entrepreneuriale » équivalente à leur poids dans la population française ».

La population française est constituée de 52 % de femmes ; or elles ne sont que 46 % dans la chaîne entrepreneuriale. Les femmes y sont donc relativement sous-représentées… mais moins qu’on ne le pense. Les acteurs de la chaîne entrepreneuriale englobent un tiers des Français contre un quart des Françaises, un écart qui s’illustre notamment chez les porteuses de projet, dont la part s’élève à 9 % en 2021 contre 13 % chez les hommes. Ce gender gap a cependant tendance à se réduire : l’Indice entrepreneurial des femmes passe de 23 % en 2018 à 26 % en 2021 (tandis qu’il est en baisse chez les hommes, avec 34 % en 2021 contre 37 % en 2018). Il est inexistant chez les intentionnistes : un bon présage pour l’avenir, à condition que cela ne traduise pas un écart de comportement au moment du passage à l’acte de création.

Des écarts qui se resserrent

Si les femmes sont toujours sous-représentées parmi les chefs d’entreprise (anciens et actuels) et les porteurs de projet, cette situation ne s’explique pas par un manque d’appétence pour la création d’entreprise, puisque 50 % des intentionnistes sont des femmes. Un équilibrage qui s’illustre de manière particulièrement marquante chez les intentionnistes, recensés sur l’ensemble de la population française : 8 % de femmes contre 9 % d’hommes envisagent de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale.

 

Parmi les femmes en dehors de la chaîne entrepreneuriale, 31 % n’ont jamais songé à créer ou reprendre une entreprise, un comportement proche de celui des hommes (28 %). Et 28 % d’entre elles disent n’avoir ressenti aucun frein particulier, une proportion là encore pas très éloignée de celles des hommes hors chaîne entrepreneuriale (31 %).

 

Une pandémie révélatrice

L’édition 2021 de l'Indice entrepreneurial français a nécessairement été marquée par la crise sanitaire. Cette dernière a engendré des retards de projet, voire des abandons, et des changements stratégiques en matière de carrière ne favorisant pas forcément la création d’entreprise. L’impact de la pandémie a été comparable chez les chefs et cheffes d’entreprise, même si les entrepreneures attribuent davantage les cessations d’activité à l’évolution de leur situation personnelle. 18 % des porteuses de projet ont quant à elles abandonné leur projet à cause de difficultés liées à la pandémie.

 

La pandémie a cependant présenté une opportunité inattendue pour les entrepreneures. Tandis que 27 % des cheffes d’entreprise témoignent de difficultés liées à la gestion de leur entreprise (dues à la distanciation, à l’arrêt de l’activité), 24 % d’entre elles ont vécu la crise comme une occasion de réfléchir à la vision qu’elles avaient de leur entreprise et de faire évoluer leur stratégie (un chiffre qui s’élève à 18 % seulement chez les hommes). C’est aussi le cas des porteuses de projet : 4 sur 10 estiment que la crise a eu en général un impact plus positif que négatif.

Les réponses à l’enquête traduisent un problème de confiance bien étayé en littérature économique – qui pourrait s’apparenter au « syndrome de l’imposteur » – lorsque les femmes s’auto-évaluent : seules 5 femmes sur 10 affirment posséder les compétences pour entreprendre comme décider, négocier, ou présenter des résultats. Les femmes sont par ailleurs deux fois plus sensibles au risque d’échec (18 % contre 10 % chez les hommes). Elles témoignent également d’une plus faible pratique entrepreneuriale que les hommes : 4 sur 10 déclarent avoir eu une expérience du monde des affaires, de la création ou de la gestion d'entreprise, alors que cette proportion est de 1 sur 2 pour les hommes.


Dans le contexte de la crise sanitaire et des bouleversements professionnels qui en ont découlé, hommes et femmes ont réagi différemment : là où les femmes ont eu tendance à se mettre à la recherche d’un nouvel emploi, les hommes déclarent avoir plutôt envisagé de travailler à leur compte. À noter toutefois que les activités des entrepreneures s’inscrivent davantage dans la durée : seule 1 femme sur 10 a cédé ou fermé une entreprise, contre près de 2 hommes sur 10. Ce constat permet de projeter un effacement progressif du clivage hommes/femmes.

Les principaux freins à l’entrepreneuriat féminin en France
Les raisons du gender gap varient selon la place des femmes dans la chaîne entrepreneuriale. Avant toute chose, notons que le gender gap semble s’atténuer, voire disparaître, pour les chefs et cheffes d’entreprises en responsabilité : les difficultés principales qu’ils et elles rencontrent dans les deux premières années de l’activité sont les mêmes (un revenu insuffisant ou instable et des démarches administratives trop complexes) et la part de celles et ceux qui n’ont rencontré aucune difficulté ne varie pas de manière significative. En revanche, dans les phases plus en amont du parcours entrepreneurial, les freins principaux à la création d’entreprise évoqués par les hommes et les femmes diffèrent sensiblement : les intentionnistes femmes déclarent avant tout appréhender la charge de responsabilités (29 % contre 16 % chez les hommes) et les porteuses de projet redoutent surtout l’échec (18 % pour 10 % des hommes) ; chez les hommes, et ce quelle que soit leur place dans la chaîne entrepreneuriale, ce sont les aspects financiers qui arrivent en tête, en particulier la crainte de dégager un revenu insuffisant ou trop instable.

Pour les femmes en dehors de la chaîne entrepreneuriale, le poids des responsabilités, du stress et du risque d’échec font également partie des motifs les plus fréquemment avancés pour ne pas avoir créé ou repris une entreprise.

On note enfin que les raisons de la cessation d’activité sont différentes entre les hommes et les femmes, puisque 19 % des femmes sortent de la chaîne entrepreneuriale avant tout pour des raisons personnelles (déménagement, changements familiaux), là où ce motif arrive en cinquième position chez les hommes (14 %).

L’impact de la culture entrepreneuriale
De manière générale, les femmes souffrent d’une exposition entrepreneuriale plus faible que les hommes : si les femmes de la chaîne sont aussi nombreuses que les hommes à côtoyer des entrepreneurs dans leur cercle familial ou amical, l’écart se creuse nettement sur le sujet de la sensibilisation à la création/reprise d’entreprise au cours de leur cursus scolaire ou professionnel ; 25 % se disent sensibilisées contre 31 % des hommes. Les femmes témoignent également d’une pratique entrepreneuriale moindre : 1 femme sur 3 déclare avoir eu une expérience du monde des affaires, de la création ou de la gestion d'entreprise, alors que cette part est de 54 % chez les hommes. Enfin, elles expriment plus fortement que les hommes un manque de crédibilité lié à l’âge, à l’expérience… : c’est la troisième difficulté rencontrée par les cheffes d’entreprise dans les premières années de vie de leur entreprise (13 % d’entre elles) mais la dernière pour les chefs d’entreprise (5 % d’entre eux).

En filigrane, des stéréotypes de genre encore bien ancrés et une disparité d’acculturation par ailleurs très impactante : lorsqu’elles bénéficient d’une exposition entrepreneuriale élevée, 4 femmes sur 10 se disent séduites par l’idée de travailler à leur compte, tandis qu’elles sont 4 fois moins nombreuses en cas d’exposition faible ou nulle.

L’IEF montre que l’envie d’entreprendre des femmes est davantage guidée par des valeurs humaines et sociales : ce qui a motivé les femmes chefs d’entreprise à se lancer, c’est réaliser un rêve (26 % contre 17 % pour les hommes). À parité avec les hommes déjà entrepreneurs, elles veulent être leur propre patronne (24 %) ou exercer une activité en adéquation avec leurs valeurs (21 %). Plus notable encore, pour les femmes entrepreneures, les enjeux financiers passent à l’arrière-plan : l’augmentation des revenus ou du capital, motivation principale chez les hommes (26 %), arrive seulement en quatrième position (18 %). De même, créer son propre emploi ou celui d’un proche n’est pas prioritaire (7e position sur 12).

Motivations et confiance
En comparaison avec les hommes, qui placent l’augmentation des revenus dans le peloton de tête des motivations à créer une entreprise (un quart des chefs d’entreprise et des intentionnistes), ce critère n'arrive qu'en 4ᵉ position chez les femmes, qui privilégient la perspective de devenir leur propre patronne (pour 24 % des cheffes d’entreprise et 38 % des femmes intentionnistes), de réaliser un rêve (26 % et 32 %) et d’affronter de nouveaux défis (18 % et 26 %).

À mesure que leurs projets se concrétisent, les femmes entrepreneures gagnent également en assurance : si au stade embryonnaire de l’intention, elles ne sont que 9 % à indiquer ne craindre aucune difficulté particulière, une fois que les démarches sont en cours, ce chiffre monte à 16 % chez les porteuses de projet – pour atteindre 23 % chez les cheffes d’entreprises. 

Innovation sociétale et préoccupation environnementale
Les entrepreneures mettent l'innovation, l’environnement et la RSE au cœur de leur projet de développement entrepreneurial. L’innovation est la grande priorité des cheffes d’entreprises et des intentionnistes (3 sur 4). L’environnement compte aussi pour 72 % des intentionnistes et 66 % des cheffes d’entreprise. En outre, plus de 60 % des cheffes d’entreprise et des intentionnistes estiment qu’une démarche de responsabilité sociétale des entreprises est un atout pour le développement de leur activité – une position qui n’est toutefois pas spécifique aux femmes, les hommes partageant cette vision.
 

Même si la proportion des femmes inscrites dans une dynamique entrepreneuriale descend à 14 % dans les Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et que l’écart hommes/femmes se creuse (- 8 points au niveau national contre - 11 points dans les QPV), l’Indice entrepreneurial des femmes y est en remarquable progression : + 5 points ces trois dernières années, soit presque deux fois plus que sur l’ensemble du territoire français (+ 3 points). Les QPV constituent ainsi des zones particulièrement dynamiques ; pour preuve, un tiers des femmes de la chaîne entrepreneuriale en QPV a moins de 24 ans. Toutefois, le passage à l’acte de création reste peu élevé : 1 intentionniste sur 10 en QPV deviendra chef d’entreprise.

 

Une proportion d’entrepreneures qui reste faible…
Dans les QPV, 14 % des femmes seulement s’inscrivent dans une dynamique entrepreneuriale. Elles ne sont qu’1 %, dans ces territoires, à être aujourd'hui cheffes d'entreprise, et 4 % ont déjà cédé une entreprise.

Quant aux habitantes des QPV « hors chaîne entrepreneuriale », la moitié n’a jamais songé à entreprendre. Les difficultés d’ordre financier (revenu insuffisant ou trop instable pour 15 % d’entre elles, investissement financier trop important pour 19 %) sont les plus saillantes. Ce désintérêt est également justifié par un sentiment de manque de compétences pour créer ou reprendre une entreprise (12 %) et de manque d’expertise dans le métier (10 %).

… mais une motivation d’autant plus grande
Les entrepreneures des QPV reculent moins devant le risque d’échec (7 % seulement ont présenté cette crainte comme un frein) et se disent plus enthousiastes que la moyenne des Françaises à l’idée de travailler à leur compte, avec un rapport de 3 pour 2.