Le changement, ce n'est pas "maintenant"... c'est nous !

Comment un ancien informaticien lance-t-il une boutique de mode éthique ?

Je ne me voyais pas exercer ce métier pendant 40 ans, qui plus est, assez éloigné de mes convictions personnelles. J'ai décidé de me lancer dans le commerce et la mode, deux secteurs que je ne connaissais pas et j'ai ouvert le magasin Modetic dans l'ancienne maison d'un parent, en face de Marque Avenue (un espace de magasins d'usines) à Romans. Je voulais que mon activité ait du sens, j'ai donc référencé dans ma boutique des vêtements et des chaussures issus du commerce équitable, à partir de matières premières respectueuses de l'environnement.

Comment avez-vous trouvé vos fournisseurs pour fabriquer vos jeans, vos chaussures et vos pulls made in France ?

En 2010, plusieurs de mes fournisseurs - crise oblige - ont mis la clé sous la porte. Je me suis donc mis en quête de nouveaux partenaires et j'ai essayé d'en trouver le plus près possible de mon magasin. Mais cela n'a pas été facile car il y a peu de producteurs français. C'est finalement grâce à mon réseau d'ateliers de confection et au bouche-à-oreille que je les ai trouvés.

Avez-vous bénéficié d'un accompagnement ou de financements spécifiques dans votre démarche made in France ?

Pour la marque 1083, nous avons reçu l'aide d'Organic Cluster, la main armée de la région Rhône-Alpes pour la filière bio : nous avons remporté le concours Bio'Innov de ce réseau qui nous a permis de bénéficier de 10 séances d'accompagnement et d'une aide financière de 15 000 € pour développer nos premiers modèles.

Mais c'est surtout le financement participatif qui a donné une vraie impulsion à nos projets. Au-delà des fonds récoltés (110 000 € au lieu des 10 000 € requis), nous avons bénéficié d'avantages considérables en termes :

- de communication, en profitant de l'excellent référencement web offert par les plateformes de crowdfunding (Ulule en l'occurrence) et de l'effet "bouche-à-oreille" chez les internautes,

- de connaissance de nos clients, en ayant pu identifier précisément, avant la production, les tailles et couleurs qui les intéressent ; nous avons par ailleurs pu enrichir le projet grâce à leurs commentaires et ainsi rendre notre étude de marché plus pertinente.

Pour Le Tricolore, nous avons également fait appel à Ulule. Nous avons recueilli 450 préventes sur les 100 requises ! Très récemment, le Tricolore a remporté le concours Ulule/BNP "1clicpour1projet". Les 3 000 € gagnés vont nous permettre de développer un projet d'économie circulaire pour la confection des jeans.

Les réseaux sociaux occupent-ils une place importante dans votre stratégie de communication ?

Absolument. Facebook est un outil quotidien qui nous permet de créer du lien et de dialoguer avec nos clients. C'est une vitrine de notre activité avec des échanges spontanés. Le blog va plus loin, il propose des articles sur des problématiques de fond et recueille des réponses de consommateurs plus étoffées.

Aujourd'hui, quel est votre premier canal de vente ?

Sur les 750 000 € de CA réalisés en 2014, 500 000 € proviennent des sites Internet 1083 et Le Tricolore, tandis que 250 000 sont obtenus en boutique. On peut donc dire que 80 % de nos ventes se font sur Internet.

Où se trouvent vos clients ?

Partout en France grâce à Internet et dans les zones de chalandise de Romans et de Grenoble (38), où nous avons ouvert un deuxième magasin en septembre 2013.

Vos clients de Romans vous achètent-ils des vêtements et chaussures avec La mesure, la monnaie locale ?

Oui, certains mais le succès de la Mesure est très "mesuré". Je crois à la monnaie locale, mais dans le cas de la Mesure, elle ne sort pas de la confidentialité car elle n'est pas promue, la démarche est trop "intello". En fait, les artisans de cette monnaie, réunis en association, sont peu enclins au compromis et cela réduit sa diffusion.

Thomas Huriez - boutique

Quelles sont vos recettes pour produire un jeans à 89 euros (soit le prix des jeans de grandes marques, qui produisent là où les coûts salariaux sont les plus bas) ?

Dans le commerce traditionnel, un jeans coûte 9 euros à produire. Chez nous, c'est 35 euros. Si on appliquait les mêmes règles de distribution que les grandes marques, on vendrait des jeans de luxe à 350 euros pièce.

On a donc fait des choix stratégiques pour réduire nos prix. On a décidé de créer nos propres marques, de les vendre sur nos sites internet ou dans nos boutiques et de proposer des chaussures et jeans intemporels, dans la tendance du slow wear : on ne réinvente pas les collections tous les 6 mois. De fait, nos frais de développement s'en trouvent nettement réduits et lissés sur plusieurs saisons. Notre marge commerciale est, quant à elle, beaucoup plus faible. Fixée aux alentours de 70 % dans le cas d'une vente de jeans traditionnels, elle se situe autour de 47 % pour les jeans 1083 (*).

Le prix de la confection d'un jeans made in France est plus élevé que celui d'un jeans conventionnel, mais il génère plus d'emplois. D'une manière plus générale, il est plus profitable à l'économie française. Je l'explique dans un récent billet publié sur le blog 1083 (Comment créer 58 % d'emplois en plus en France ?).

Combien d'emplois avez-vous créés ?

Notre activité a généré 10 créations d'emplois en moins de 2 ans chez nos fournisseurs et dans notre équipe (nous sommes 5 à Romans et 2 à Grenoble).

Vous avez participé au salon Made in France. Qu'est-ce que ça vous a apporté ?

Le salon nous a apporté des ventes (des clients sont venus essayer et acheter leur jeans et chaussures), une plus grande visibilité en termes de médias avec des retombées presse et des contacts professionnels qui permettent de partager les bonnes idées et de nouer des partenariats.

Etes-vous intéressé par le Label "Origine France Garantie" ?

Oui car il n'y a qu'un seul label pour le fabriqué en France. Il nous intéresse donc fortement. Il faut donner de la force à ce label, dans le cadre d'une dynamique militante de soutien à la relocalisation française. Le label c'est aussi un réseau, des bonnes pratiques à se partager et des synergies à développer.

En revanche, nous n'apposons pas de labels "bio" sur nos produits car il y en a énormément et c'est incompréhensible pour les consommateurs. Mais nous réfléchissons, avec plusieurs marques de taille modeste comme la nôtre, à une proposition de label sous licence libre. La démarche est présentée ici : http://labeletic.com

Quels sont vos projets à court et moyen terme ?

A très court terme (avant Noël), nous allons essayer de proposer le "kit 0 kilomètre" à nos clients. L'idée est de leur proposer d'assembler eux-mêmes leur jeans grâce à un kit comprenant le patron imprimé, le denim, les boutons et les étiquettes. Il est destiné à nos clients les plus manuels qui ont déjà accès librement au patron sur internet. Le kit est actuellement en phase de finalisation auprès de nos couturiers internautes, qui nous aident, par leurs remarques, à définir notre offre.A plus long terme, l'enjeu est de renforcer notre capacité de production puis d'ouvrir une boutique à Paris et ensuite - pourquoi pas - de lancer une nouvelle marque et vendre de nouveaux produits made in France !

Avez-vous relié les 1083 km entre Menton et Porspoder, comme vous vous étiez engagé à le faire en cas de dépassement des 1083 commandes sur Ulule ?

Oui, cet été. Ma femme et moi les avons parcourus en 17 jours, sur un vélo couché... made in France !

Thomas Huriez

 

Propos recueillis en novembre 2014 par Céline Arsac

(*)

Jeans conventionnel   Jeans 1083  
Coût de fabrication
Coût de transport
Marge commerciale : marque (33,33 %) + distribution (37,5 %)
TVA
8,33 %
4,17 %
70,83 %
16,67 %
Coût de fabrication
Coût de transport
Marge commerciale
TVA 
35,33 %
0,67 %
47,33 %
16,67 %
Novembre 2014