Le développement durable n'est plus un objectif mais un terreau fertile pour tout réinventer.

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Dans différentes interviews, vous évoquez l'obsolescence du monde actuel et la nécessité d'un changement de monde. Pouvez-vous donner les principaux signes de cette obsolescence et décrire les principales mutations en cours ?

Il suffit de regarder tout autour de nous…Il n'y a pas un système, pas un modèle, qui ne soit mal à l'aise / mis à mal /questionné en ce moment. L'éducation, la gouvernance, la finance, la représentation politique, la richesse, la mobilité, … « Si je n'étais pas pessimiste je serais aveugle, si je n'étais pas optimiste je serais sourd » disait Paul Hawken. A l'Institut des Futurs souhaitables nous avons la chance d'écouter le bruit de la forêt qui pousse plutôt que de se focaliser sur le bruit de l'arbre qui tombe. Et en ce moment la germination est mondiale. Des Co-révolutionnaires qui développent une économie du don et du partage, des « Hackers »[1] qui innervent l'esprit de l'Open-source au cœur de la société marchande, des « Transitionners » qui expérimentent au niveau local des nouvelles manières décarbonées de vivre ensemble, des « Makers » qui questionnent les modes de production en fabriquant dans leurs fablabs des éléments de la réalité de demain…

Pouvez-vous donner quelques exemples d'initiatives dans ces domaines ?

Oui bien sûr ! Le livre d'Anne-Sophie Novel et de Stéphane Riot, Vive la CoRévolution ! Pour une société collaborative recense plus de 500 initiatives. L'exemple Airbnb, le site de location entre particuliers, me paraît assez bien illustrer ce mouvement du « Co ». La start-up s'est lancée en 2008 sur un secteur qui n'était pas innovant en soi puisque le partage d'appartements existait déjà. Avec plus de 10 millions de nuitées réservées en 2012, son succès exponentiel illustre bien le fait que nous nous trouvons aujourd'hui dans un contexte favorable au développement d'une économie du don et du partage grâce à la rencontre d'un besoin, d'une technologie au moment où apparaissent de nouveaux comportements de consommation. En France, le succès du site de covoiturage Blablacar surfe sur cette même dynamique… Pour l'esprit du Libre, j'aime citer l'histoire que je trouve assez parlante de ces deux produits concurrents qui se sont lancés presqu'au même moment. L'un était Encarta, imaginé par Microsoft et l'autre Wikipédia, que l'on ne présente plus. L'un était basé sur un système ancien, pyramidal et doté d'un important budget avec un process et des chefs de projet. L'autre était basé sur un fonctionnement collaboratif et sur l'intelligence collective. Aujourd'hui, Encarta n'existe plus et Wikipédia avec moins de 100 salariés est l'un des sites les plus visités au monde. Dans le numérique, l'esprit de l'Open-source change la donne. La source du code est incrémentée et enrichie de centaines de contributions. C'est un système redoutablement efficace, qui crée de la richesse mais qui questionne la propriété. Ici, le modèle du « copyleft » s'oppose à celui du « copyright ».

Pouvez-vous présenter le mouvement des « Transitionners » ?

Une des premières villes à s'être lancée dans ce mouvement de Transition est Totnes, située au sud de Londres. Ces villes, qui étaient dépendantes du pétrole, ont souhaité repenser leur système local et se réinventer à partir d'une interrogation « que ferait-on s'il n'y avait plus de pétrole ? ». Elles se sont inspirées du locavorisme (qui consiste à se nourrir d'aliments qui ont poussé ou ont été produits dans un rayon de 100 km), des systèmes d'échanges locaux, des circuits courts, et de la démocratie participative. Pour décarboner l'économie (réduire les émissions de carbone), ces territoires ont détricoté le tissu local pour réinventer un nouveau mode de vivre ensemble non carboné. Il y a aujourd'hui plus de 600 villes dans le monde qui jouent le jeu de la résilience, pour s'adapter à un nouvel environnement.

Peut-on dire que cette économie génère de nouvelles activités ?

Oui, en premier lieu il y a de nombreuses activités qui sont relocalisées. Car lorsque l'on veut décarboner une ville, on touche obligatoirement à la mobilité. Il faut inventer des modalités pour limiter les flux et notamment l'importation d'un certain nombre de produits. On assiste à la création d'une nouvelle économie locale avec un système repensé, propice à l'expérimentation et à la création. A propos des fablabs, Chris Anderson, dans son ouvrage Makers, La nouvelle révolution industrielle, imagine comment le « do-it-yourself » pourrait révolutionner le mode de production en réalisant sur place des produits jusque-là importés. Le lien avec l'écosystème proche est là aussi repensé.

Il existe plusieurs approches du développement durable, quelle définition retenez-vous ?

Je laisse à chacun la liberté de choisir sa définition. Les écoles de commerce en ont recensé plus de 300… Je retiendrai pour ma part celle qui pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Celle qui met des pluriels pour éviter les dogmes. Celle qui construit les désaccords et n'a pas peur de la controverse. Celle qui inspire plus qu'elle n'impose. Celle qui parle du mieux bien plus que du moins. Celle qui donne les moyens, à tout un chacun, de repenser sa vie dans un monde où tout est à réinventer.

Quelle part occupe le « développement durable » dans les évolutions en cours ?

Pour moi le développement durable ce n'est plus un sujet c'est un terreau. Un substrat commun sur lequel il nous faudra inventer la vie qui va avec, une fois tous les seuils critiques dépassés.

Quelle définition donneriez-vous de l'innovation sociale ?

C'est l'ensemble des innovations qui germent sur ce terreau commun. Ce sont toutes ces expérimentations qui vont dans le sens d'un progrès humain.

Le développement durable représente-t-il une contrainte ou une opportunité de développement pour les entreprises ?

On peut encore ergoter 10-20 ans du bien fondé du développement durable mais une fois les « tipping points », ces seuils critiques, franchis, une fois ces points de basculements énergétiques, climatiques, biologiques, passés, nous n'aurons d'autres choix que de changer. La question de la contrainte et de l'opportunité s'apprécie ainsi à l'aune de la résilience, cette capacité de retrouver un fonctionnement normal après une perturbation importante. Les entreprises ont peu ou prou 10-20 ans pour s'y préparer, pour anticiper plutôt que de subir, pour expérimenter, pour inventer avec d'autres les bases nouvelles du monde d'après.

Quels sont les principaux enjeux ?

Les enjeux fondamentaux, ceux qui vont structurer le monde de demain et avoir des incidences sont multiples, l'énergie, l'eau, le climat, la biodiversité, la démographie… Avec comme maître enjeu l'impérieuse nécessité de repenser une gouvernance mondiale. La gouvernance actuelle date des années 50. Elle a été pensée dans un contexte géopolitique qui n'est plus. Venir avec une vision territoriale sur des problématiques comme le climat par exemple qui ne connaissent pas les frontières est toujours voué à un échec structurel.

Quels sont les secteurs potentiellement créateurs d'activités ?

Nous allons devoir faire un exercice de réinvention dans tous les domaines. Tout doit être repensé, la réinvention du monde a beaucoup d'avenir. Déplier la complexité d'un secteur dans la complexité du monde n'est pas facile mais c'est en repensant les systèmes que nous créerons des activités. Comment offrir des perspectives à un métier ? Prendre le temps d'appréhender le monde qui l'entoure, dialoguer entre les différents acteurs de son écosystème, apprécier les différences, hybrider ses activités afin d'en créer de nouvelles… Comment un entrepreneur peut-il être à l'écoute des signaux faibles, à l'écoute du « bruit de la forêt qui pousse » auquel vous faisiez allusion au début de cet entretien ? « Etre à l'écoute des signaux faibles » c'est une gymnastique de l'esprit. Tout comme « imaginer les futurs souhaitables », c'est bien plus une attitude qu'une méthode. C'est prendre le temps d'appréhender la complexité pour en révéler les richesses. C'est cartographier l'existant pour mieux le dépasser. C'est mettre à l'échelle ces faits porteurs d'avenir qui pourraient préfigurer d'étonnantes ruptures. C'est imaginer…qu'est ce qui se passerait si ? Si nos dirigeants étaient tirés au sort ? Si le « clean up day » (« le jour où l'on nettoie » les décharges sauvages) devenait férié ? Si des milliers de monnaies libres se créaient ? Si les villes en transitions devenaient des régions ? Si les créatifs culturels s'apercevaient qu'ils étaient légions ?

Comment décririez-vous l'entrepreneur de demain ?

C'est un explorateur qui comme au temps des découvertes a le courage d'aller expérimenter au delà des cadres, au delà des disciplines, au delà des corporations. C'est un passeur-connecteur qui avec l'esprit du Libre hybride à foison. C'est un nouvel humaniste qui pense l'intérêt général dans son action du quotidien. C'est un conspirateur positif qui, quelle que soit son échelle, est acteur de la métamorphose, mu d'une philosophie empreinte de liberté. Etre entrepreneur c'est une attitude. On peut être entrepreneur dans le business mais aussi dans d'autres domaines. En France nous sommes crispés par la peur de l'échec. Dans cette zone majeure de métamorphose, l'important c'est d'essayer ! Et au pire…ça marche.

FIXME

[1] Comme le rappelle Thanh Nghiem, auteur des abeilles et des Hommes, « le hacker ne se réduit pas à l'image colportée par les médias dans les années 1980, c'est-à-dire celle d'un pirate nuisible qui s'attaque à des banques pour se distraire. Aujourd'hui, le hacker désigne un "bidouilleur" astucieux, qui cherche à comprendre le fonctionnement d'une chose plutôt que d'être assujetti aux volontés du fabricant. On peut ainsi hacker un logiciel, des appareils ménagers, des cultures… Le hacker est associé aux notions de virtuosité, de plaisir et d'indépendance. » (source : Institut Inspire).

Propos recueillis par Catherine Sid en décembre 2013

Décembre 2013