Donner du sens à son entreprise : l'expérience d'Antoine Robin dans le commerce équitable

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Pouvez-vous nous expliquer comment est né votre projet ?

A l'âge de 19 ans, j'ai fait un premier voyage en Côte d'Ivoire dans le cadre d'un échange culturel. J'ai été très marqué par ce séjour et quelques mois après j'ai créé, avec une vingtaine d'autres jeunes, une association d'aide au développement. C'était une expérience très enrichissante même si j'ai fait des erreurs.Puis, après un 3eme cycle de gestion à Dauphine, je suis parti en coopération 2 ans en Afrique. Durant cette période, j'ai travaillé auprès d'une ONG malienne. A mon retour, j'ai souhaité avoir une activité qui concilie mon projet de vie, familiale et professionnelle, tout en me permettant de poursuivre mon engagement en faveur de l'Afrique de l'Ouest. Je ne voulais pas être "expat" à vie. Un projet de commerce équitable, en partenariat avec les artisans locaux, était parfait pour moi ! C'est à ce moment là que j'ai commencé à réfléchir à mon projet : valoriser le potentiel artisanal des petits producteurs locaux pour favoriser le développement économique local. J'ai d'ailleurs consulté le site internet de l'APCE pour avoir les premières informations économiques, juridiques etc.

Vous dites que vous avez fait des erreurs, lesquelles ?

La plus importante : essayer de forcer les choses par utopie. On ne peut pas changer le monde comme cela !

Vous avez créé votre Sarl en 2003 ?

Oui, j'ai créé la Sarl en 2003 mais j'avais commencé seul, en 2000, sous forme d'entreprise individuelle, après avoir effectué plusieurs voyages préparatoires en Afrique pour repérer les bons partenaires et les produits intéressants. Démarrer sous forme d'entreprise individuelle n'était pas une bonne idée. En effet, par la suite ce premier statut s'est révélé inadapté. Cette activité ne peut être exercée par une personne seule. J'ai eu besoin d'avoir des associés notamment pour améliorer les capacités financières de l'entreprise. Par ailleurs, être en société facilite les relations avec les banques.

Qui sont vos associés ?

Nos associés sont des personnes qui connaissent l'Afrique, le fonctionnement du commerce équitable et partagent notre engagement. C'est indispensable ! Notamment pour étudier un bilan en AG !

Aujourd'hui, vous avez une activité de vente en gros et de vente au détail. Quelle est l'importance de ces deux activités ?

Mon projet initial était de créer une centrale d'achat de produits artisanaux : bijoux, maroquinerie et tissus. Le local commercial que j'ai trouvé à Paris comportait une boutique. Nous avions donc une petite activité de vente au détail même si cette boutique n'était pas vraiment bien située. Après la dernière crise, qui a beaucoup affecté les commerces de produits équitables, notre CA réalisé avec les distributeurs a baissé. Nous avons donc décidé de nous réorienter beaucoup plus vers la vente au détail. Nous avons repris l'activité d'une entreprise qui souhaitait arrêter l'activité de ses 2 boutiques à Paris. Nous en avons ouvert une 3eme à Vincennes. Au début de notre activité, 20% du CA de Sira-Kura provenait de la vente au détail, aujourd'hui cette proportion s'est inversée.

Pouvez-vous nous parler de vos fournisseurs, vos partenaires ?

Dans ce secteur, le plus dur quand on démarre n'est pas de vendre mais d'acheter : trouver les bons partenaires, prendre le temps de se connaître et d'établir une vraie  relation de confiance. En revanche, il est beaucoup plus facile par la suite de faire du développement de produits à partir d'un cadre défini. Le nôtre : des articles de décoration faits main, avec des matières locales et naturelles.En parallèle du travail effectué par les fournisseurs pour traiter les commandes, je leur demande d'être créatifs. Tous les six mois, ils me présentent des prototypes que je finance entièrement. Au fil des années, la qualité a beaucoup progressé. Les artisans travaillent à partir des données que je leur communique sur le marché français. Cependant, pour nos produits phares - les gammes bijoux argent et maroquinerie - nous travaillons avec des designers français qui ont une meilleure connaissance des tendances du marché. Leurs plans sont exécutés par les artisans locaux sans difficulté. Aujourd'hui, la moitié des bijoux argent proposés dans les boutiques sont des créations Sira-Kura, l'autre moitié est constituée de produits de l'artisanat local traditionnel. Nous nous inspirons naturellement les uns des autres. Le travail qui est fait avec les designers permet aussi de développer la créativité des artisans.

Votre activité a-t-elle eu un impact sur le niveau de vie des artisans locaux ?

Incontestablement. Nos partenaires n'exportaient pas du tout auparavant. Leurs revenus ont augmenté. Le plus important pour eux n'est pas le prix, même s'il est fixé par eux, mais l'engagement sur la durée. Ils sont assurés, sauf catastrophe, qu'ils auront des commandes dont ils connaissent à l'avance le montant et la périodicité. C'était mon engagement numéro un. Malheureusement je ne peux pas toujours le respecter. Depuis mars dernier, je ne peux plus rencontrer les petits producteurs situés au Mali en raison de la trop grande insécurité qui y règne. Dans ce pays, je ne travaille en ce moment qu'avec des fournisseurs plus importants, équipés pour l'exportation (téléphone, fax, internet, compte bancaire). Nous travaillons aujourd'hui avec le Burkina-faso, le Niger, le Kenya et une partie des partenaires au Mali.

Qui sont vos clients ?

Le client type est plutôt une cliente, entre 35 et 60 ans, de catégorie socioprofessionnelle moyenne ou supérieure. Le panier moyen en boutique est de 45 euros. Nous avons une clientèle fidèle qui adhère à notre concept, des produits authentiques de grande qualité, avant même d'ailleurs de savoir qu'il s'agit d'articles du commerce équitable. Concernant notre activité de centrale d'achat, nous avons une clientèle composée d'une centaine de petits distributeurs, spécialisés ou pas dans le commerce équitable.

Etes-vous membre de réseaux de commerce équitable ?

Sira-Kura est membre de la PFCE. C'est un lieu de rencontre idéal même si on n'a pas toujours le temps d'y consacrer le temps qu'il faudrait.

Avez-vous mis en place une communication ?

Nous avons un fichier fidélité et une newsletter mensuelle. Nous intervenons sur les réseaux sociaux et réalisons parfois des flyers à l'occasion d'opérations particulières. Nous venons d'avoir un article dans Télérama qui tombe à pic en cette période de fin d'année qui est très importante dans notre activité.

Vous préfinancez les commandes en moyenne à 50 %. Quelles sont les implications au niveau de la gestion de votre entreprise ?

Nous avons un plan de trésorerie difficile à expliquer à un banquier ! Il nous faut financer des "fortunes" de façon saisonnière. Les dépenses débutent au mois d'avril : c'est à cette date que commence le préfinancement des commandes, à hauteur de 50 %, pour des marchandises qui arriveront en France fin août. En juillet, les commandes sont prêtes. Nous versons le reliquat aux artisans mais les marchandises sont toujours en Afrique. Pour information, un container du Mali représente 25 à 30 000 euros de marchandises.Ensuite, nous devons payer six semaines de fret (6 000 euros) et les transitaires. Lorsque le container arrive en France, il faut ajouter la TVA (10 000 euros). Ce n'est qu'à ce moment là, en septembre, que nous traitons les premières commandes et les livraisons. Les premières rentrées d'argent arrivent donc au mieux fin septembre. Les clients paient à 30 jours… quand ils n'oublient pas ! En été, l'activité est très faible. Le mois de décembre est une période de forte activité pour les trois boutiques. A Noël, les comptes sont au plus haut !

Qu'attendriez-vous des banques aujourd'hui ?

Peu de banques proposent des crédits de campagne c'est-à-dire des prêts nous permettant de faire face à un besoin de trésorerie pendant plusieurs mois, cela de façon saisonnière.

Avez-vous déjà eu recours à un emprunt bancaire ?

Je tenais beaucoup à notre indépendance financière. Nous nous sommes toujours autofinancés en fonds propres et en compte-courant d'associés. Nous avons eu cependant recours à un emprunt bancaire pour la cession de bail de la boutique de Vincennes. La banque a dit oui en 48h !

Y-a-t-il d'autres particularités spécifiques au commerce équitable qui doivent être prises en compte dans le montage d'un projet ?

La gestion des stocks est une question importante. Les produits sont livrés trois mois après la commande si tout va bien. C'est beaucoup trop long. Il nous arrive d'avoir des références en surstock ce qui génère encore des problèmes de trésorerie. Nous ne travaillons pas en flux tendu. Nous ne pouvons pas livrer rapidement un produit en grande quantité. Aucun client ne va attendre trois mois pour recevoir une commande. Nous fonctionnons sur stock physique en France. Il faut bien sûr anticiper mais ce n'est pas toujours facile.

Avez-vous trouvé une solution ?

Dorénavant, nous évitons les arrivages de gros containers par voie maritime. Nous réalisons aussi des envois par fret aérien pour réduire les délais. Nous faisons des commandes moins importantes. Cette solution nous permet de gagner entre 6 et 8 semaines sur le fret. Le temps de transport passe de 2 mois à 2 jours.

Quels ont été selon vous les éléments qui ont favorisé le développement de votre projet ?

Comme pour tout projet, le soutien de ma famille a été essentiel.

Au contraire, avez-vous identifié des freins ?

Nos partenaires. Si on va trop vite, ils ne peuvent pas suivre. Nous devons les accompagner en termes de conseils, de gestion (le calcul du coût de revient par exemple) et d'appuis techniques.

Avez-vous de nouveaux projets ?

En 2012, nous avons lancé une nouvelle filière d'importation au Kenya.

Avez-vous des conseils à donner aux porteurs de projets qui voudraient se lancer dans le commerce équitable ?

Il est absolument nécessaire d'avoir une expérience préalable dans ce domaine, une connaissance des producteurs locaux et du secteur avant de se lancer.Plusieurs éléments sont essentiels pour avoir des chances de réussir dans cette activité : le produit, la trésorerie et dans le cas d'une boutique, l'emplacement.Je pense qu'il vaut mieux éviter l'alimentaire et le prêt-à-porter, deux marchés qui comportent déjà beaucoup d'acteurs.Enfin, il faut savoir qu'il y aura, au démarrage, si tout se passe bien, au moins 18 mois de travail et de dépenses avant d'avoir un produit à vendre. Il faut donc en tenir compte dans son plan d'affaires.

Propos recueillis en novembre 2012 par Catherine Sid

 
Décembre 2012