La place du marketing lors du montage et du lancement d'un projet innovant

Un porteur de projet innovant lance souvent des produits ou services sur des marchés émergents. Dans ces conditions, comment chiffrer son marché ? 

Grande question et gros problème… Chiffrer un marché potentiel est possible lorsque l'on peut prédire l'avenir et ce, à partir des enseignements du passé. Or par définition l'innovation n'a jamais été et aucun rétroviseur ne nous permet de prédire l'accueil que les acteurs du marché en feront. Comment alors avancer des chiffres dans ces conditions si ce n'est par des hypothèses fortement aléatoires ? La première étape doit être d'ordre qualitatif, il s'agira d'identifier à l'instant t, les segments de marché les plus favorables à l'arrivée de l'innovation, ceux dont les acteurs sont prêts non seulement à l'utiliser, mais également à payer pour y avoir accès. Nous pourrons alors déterminer une offre de produit et/ou service adaptée à chaque segment avec un modèle de revenu approprié.  C'est à cette seule condition qu'une projection quantitative sera possible. En effet sur cette base, nous pourrons identifier le nombre d'unités vendables en potentiel total marché et en potentiel atteignable par l'offreur compte tenu de ses moyens. L'idéal sera de se lancer dans cette quantification à partir de déploiements réels auprès des acteurs du segment en s'étant assuré de la duplication des ventes et du modèle.

Est-il réaliste de présenter un produit innovant sans concevoir au préalable de prototype ? 

Selon Schumpeter, "l'innovation correspond à l'action d'introduire une nouveauté dans une organisation sociale. Un marché est une des organisations sociales possibles". Si l'on s'accorde sur cette définition, on s'accorde alors sur le fait que l'innovation ne peut naître que de la confrontation avec la réalité du marché et en particulier des usages. Un prototype est donc nécessaire pour faire un premier pas dans cette réalité, si l'idée ne devient à aucun moment tangible, le retour du marché ne pourra être que "fantasmagorique". En revanche, ne faisons pas l'erreur de lancer un produit finalisé. L'innovation doit être conçue avec ses premiers utilisateurs, les "early adopters", ceux qui partagent la même conviction que l'innovateur, en l'occurrence qu'il s'agit bien d'une nouvelle solution pertinente face à un problème existant. C'est à cette seule condition qu'elle trouvera sa place dans le marché. Le prototype évoluera et s'améliorera inévitablement au contact de ses utilisateurs pour finalement devenir un produit susceptible d'intéresser le plus grand nombre. Tel "un pavé lancé dans une mare", l'innovateur lance son idée dans un monde existant et doit observer et tirer les leçons des effets produits par son arrivée, pour assurer à terme l'acceptation du pavé et son intégration à l'écosystème pré-existant.

En moyenne, pour un projet classique, il faut 9 mois de préparation avant de lancer une activité. Qu'en est-il pour un projet innovant ? 

Oui, 9 mois de préparation sont réalistes, parfois plus selon l'effort de conception du premier prototype, pour des projets fortement technologiques notamment. Mais à la différence d'une activité classique, le projet innovant donnera des signes tangibles de sa viabilité beaucoup plus tardivement et souvent avec une période beaucoup plus longue que celle prévue initialement par son porteur. Quoi qu'il en soit en termes de préparation, nous ne saurons conseiller mieux au porteur que de réduire au minimum le temps de préparation du projet et de se confronter le plus rapidement possible au marché afin de tester la preuve de la pertinence de "son idée" au plus vite et de co-concevoir avec les acteurs la bonne offre innovante. Dans le cas du lancement d'une activité "non-innovante", les enseignements tirés de l'analyse du lancement d'activités comparables permettent d'aller droit au but et d'assurer le bon positionnement de l'offre dès son lancement. Ces conditions ne peuvent être réunies dans le contexte de l'innovation, lorsqu'il s'agit d'innovation plus forte qu'une simple amélioration de l'existant bien sûr.

En phase de conquête de clients, quelles sont les erreurs à ne surtout pas commettre en amont et lors du lancement d'un produit ou service innovant ?

- Considérer que le marché attend l'innovation. Un marché pré-existe à l'innovation, il s'agit de comprendre comment elle peut s'insérer dans un monde qui a déjà des solutions et des processus installés. Il s'agit de comprendre les usages en place, les relations économiques existantes pour mieux y prendre place. Même la téléportation, le jour où elle adviendra ( !) viendra bousculer le marché du transport.- Aborder le marché avec certitude. Il faut l'aborder avec conviction tout en étant ouvert à ce que le client s'approprie à sa manière l'innovation et y voit la valeur qui lui convient. Demandez aux innovateurs si le produit qu'ils vendent après quelques années correspond effectivement à ce qu'ils imaginaient vendre au départ ?- Confondre utilisateur et client. L'utilisateur de l'innovation n'est pas forcément celui qui l'achète. Confondre ces deux statuts peut conduire à un mauvais positionnement sur le marché qui peut être fatal à l'innovation. Un logiciel applicatif utilisé par un service de R&D devra passer par la Direction des achats.- Proposer des fonctionnalités qui ne sont pas attendues. Le simple fait d'aller au-delà des attentes et des besoins peut déclencher un phénomène de détraction de l'offre. - Vouloir adresser trop de segments de marché à la fois. Il est impensable de vendre tout à tout le monde. Il faut scénariser l'accès au marché et cibler les segments en identifiant les plus pertinents et les plus accessibles à l'instant  avec une vision évolutive. Un segment stratégique peut ne pas être accessible à l'instant t et le passage par un autre segment plus pertinent pour l'atteindre à terme. - Agir en "mode projet" : "Je définis l'objectif et les moyens pour les atteindre à priori."  Il faut en réalité agir en mode "agile" ou "effectual" et concevoir à partir de la seule réalité en se fixant des objectifs "court terme" révisables au fur et à mesure de l'avancée sur le marché.

On parle souvent de mix-marketing pour développer une politique commerciale, existe-t-il un mix-marketing "spécifique" pour les entreprises innovantes ?

Oui, et ce d'autant plus que l'innovation ne vient pas en substitution directe d'un existant. Le mix-marketing doit absolument tenir compte du fait que l'innovation ne correspond pas à quelque chose de déjà connu. Il y a dans ce cas un gros travail de pédagogie et de facilitation de l'usage à prévoir, beaucoup plus important que pour un produit connu.Cependant, en terme de méthodologie, les fondements du mix-marketing sont les mêmes ainsi que sa mise en œuvre. La différence se situe plutôt au niveau des méthodes de "marketing stratégique" qui précèdent les actions de "marketing opérationnel" ou "marketing-mix".En effet, la mise en œuvre d'une politique commerciale se fait après avoir défini le positionnement de l'offre innovante sur le marché, c'est à dire après avoir répondu aux deux questions fondamentales : qu'est ce que je vends ? A qui je le vends ? Pour répondre à ces deux questions, conformément à ce que j'ai pu indiquer précédemment les méthodes classiques de marketing ne peuvent être opérantes.

Faut-il être plus particulièrement vigilant sur certains postes (prix, produit, communication, distribution) ?

Il faut être très vigilant sur tous les postes et surtout "agile", prêt à réagir, à modifier, à changer de voie pour mieux s'adapter à la réalité. La difficulté de l'innovation réside principalement dans le fait que certains effets ne peuvent pas être anticipés, ils sont le résultat de la seule réalité d'un usage. Qui aurait pu anticiper le fait que l'interdiction de la cigarette dans les lieux publics entraine la révision du contrat de maintenance des ascenseurs dans les immeubles professionnels ? !Il ne faut donc pas trop figer les actions  marketing au risque de se retrouver coincé dans son accès au marché si le déploiement ne se passe pas exactement comme prévu. On peut penser à ce sujet, au flop du yaourt Essensis par Danone en 2007. 

La réaction du marché à l'arrivée d'un nouvel acteur peut être longue ou rapide. Comment anticiper les réactions de la concurrence tout en développant ses ventes ?

La concurrence n'est pas le premier problème lorsqu'il s'agit d'innovation, puisque si le projet est vraiment innovant, il a une différence forte à faire prévaloir, une différence qui n'est sans doute pas encore directement concurrencée. Le risque provient plutôt des acteurs en place sur le marché, de ceux qui n'ont pas intérêt à ce qu'une innovation vienne bousculer des processus existants. Prenons l'exemple des sociétés de gardiennage dont l'activité est centrée sur la sécurité assurée par des hommes. Celles-ci n'ont pas intérêt à ce que des logiciels d'analyse vidéo viennent remplacer le travail des hommes et leurs dirigeants feront tout pour freiner l'entrée de l'innovation.Le meilleur moyen d'anticiper ces réactions et d'agir malgré elles, est de se concentrer sur ceux dont on aura identifié un "besoin intense" non satisfait par des solutions existantes et par conséquent, positifs à l'idée de l'entrée de l'innovation sur le marché.  Dans l'exemple précédemment cité des logiciels d'analyse vidéo, le porteur de l'innovation se concentrera sur les responsables de la sécurité orientés "solutions informatiques" et passera son chemin quand il rencontrera les autres. L'innovateur doit développer une écoute attentive du monde concerné par l'arrivée de son innovation, tel un détective cherchant les indices et les corrélant pour résoudre l'énigme, l'innovateur doit identifier les indices qu'ils soient porteurs, neutres ou détracteurs et les corréler entre eux pour définir un accès pertinent au marché.

Connaissez-vous des organismes spécialisés susceptibles d'apporter leur aide ? Quel type d'aide votre entreprise peut-elle apporter à un entrepreneur innovant ?

La France propose un maillage très complet de structures d'accompagnement de porteurs de projet et ce à tous stades de maturité du projet : valorisation de la recherche, incubation, pépinière, CCI… Tous ces acteurs favorisent le développement des futures "pépites" en leur permettant de trouver et garder un équilibre vital entre leurs ressources propres et la valeur perçue par le marché en cours de validation.Tout porteur d'innovation a tout intérêt à se rapprocher de ces structures et à bénéficier de leur accompagnement tant en termes de locaux, d'aide à la constitution de dossiers financiers, que de conseils ou d'orientation vers les conseils… Concernant notre offre, ViaNoveo est l'unique accès à la méthode ISMA360® (Innovation Systemic Marketing Analysis) inventée par Dominique Vian, Professeur chercheur à Skema Business School à Sophia Antipolis. ISMA360® est une véritable méthode de "design" au sens anglo-saxon du terme, une méthode de conception systémique de la stratégie marketing d'un projet innovant centrée sur l'analyse des usages et des réactions des acteurs du marché. Nous avons modélisé la méthode sous la forme d'un logiciel collaboratif, Viadesigner, donnant accès aux entrepreneurs, aux équipes et à ceux qui l'accompagnent, à un véritable outil de structuration et d'organisation des données. Il permet un repérage opérationnel dans l'incertain, en mettant le doigt sur les variables et les questions clés que l'innovateur doit avoir à l'esprit dans sa réflexion d'accès au marché. Toutes les variables étant liées entre elles, la logique de conception du projet apparaît au fur et à mesure de la prise de conscience des relations entre tous les indices à disposition de l'innovateur, pour résoudre l'énigme de son accès au marché !

Propos recueillis en juin 2012 par Michel Jez

 
Mai 2012