Réinventer la radio : le défi d'Onde numérique !

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Pouvez-vous nous parler d'Onde Numérique ? En quoi consiste son activité ?

A l'image de CanalSat pour la télévision, Onde Numérique a l'objectif de devenir le premier distributeur d'un bouquet premium par abonnement de radios numériques "sans pub". Cette offre radiophonique "nouvelle génération" sera lancée à partir d'une gamme de récepteurs wifi dédiés au domicile (allant du tuner hifi au radio réveil), ainsi que par le biais d'applications "smartphones". Elle sera ensuite proposée en voiture grâce à de petits récepteurs type "GPS" et à des autoradios.Fort d'un design propre à notre marque, ces différents récepteurs permettront ainsi d'accéder à une offre premium de plus de 60 programmes, incluant 54 nouvelles radios thématiques parlées et musicales, les 7 radios éditées par Radio France, ainsi que des versions sans publicité d'Europe 1, de Ouï FM, de Radio Classique et du fil audio de BFM TV .

Qu'est-ce qui fait la force de votre concept ?

L'absence de publicité ! Outre le confort que cela apport à l'auditeur, notre modèle économique basé sur la vente d'abonnements et non sur des profits publicitaires, nous donne une liberté éditoriale nous permettant de "coller" au plus juste aux attentes de nos clients. Nous pourrons ainsi proposer des radios thématiques parlées qui sont aujourd'hui absentes du paysage FM : une radio dédiée aux 7-10 ans,  des radios musicales d'une "couleur" qui saura être très différente des radios commerciales de la FM, en étant plus "pointues », éclectiques et propices à la découverte, tout en étant programmées et animées par de "vrais" professionnels. J'ai par ailleurs déposé un brevet reposant sur une technologie qui permettra notamment aux auditeurs, à partir de leurs récepteurs, de naviguer en avant et en arrière dans la programmation de chacune des 43 radios musicales du bouquet.  Ils pourront ainsi ne pas écouter certains morceaux, revenir en arrière sur ce qu'ils ont apprécié, et même acheter ceux qu'ils aiment "à la volée", directement depuis les récepteurs, pour pouvoir les écouter sur d'autres supports. Les américains ont lancé cette idée de bouquet il y a dix ans déjà et c'est un vrai succès avec 22 millions d'abonnés, sur un marché qui continue de croître malgré la crise qui frappe également les Etats-Unis !

Ne craignez-vous pas une réticence des auditeurs à payer un service qu'ils ont l'habitude d'obtenir gratuitement ?

Les études de marché que nous avons réalisées sur les dix dernières années et les entretiens que j'ai eus avec de nombreux spécialistes ont conforté mes convictions sur ce point. L'abonnement nous permettra de proposer une radio premium "différente" de ce qui existe aujourd'hui en FM, et totalement débarrassée de publicité. Nos futurs auditeurs le comprennent bien, et c'est justement ce qu'ils sont prêts à payer. L'abonnement est, de plus, un modèle qui fait aujourd'hui son chemin, et qui, malgré ce que l'on peut en dire, est de plus en plus accepté.  Il en ressort qu'un adulte sur cinq serait prêt à acheter un récepteur pour accéder à notre service à partir d'une gamme de récepteurs aux fonctionnalités innovantes. Avec un prix d'abonnement allant de quelques euros par mois à un peu plus de 10 euros selon l'offre, le marché est estimé à 400 millions d'euros par an.

Comment est né ce projet ?

Il est le fruit d'une expérience internationale de plus de 10 ans dans le domaine de la radio numérique, de la saisie d'une opportunité et d'une forte conviction que la radio payante a toute sa place en France !Mon parcours professionnel m'a en effet amené à rejoindre en 1998 la société Alcatel Space, qui vendait des satellites vers les USA pour le développement (notamment) de bouquets de radios numériques payantes sur le marché américain. Souhaitant préparer l'Europe à l'éventualité de l'arrivée de la radio numérique payante sur notre continent, elle m'a confié le volet réglementaire et juridique de ce projet. C'est un sujet qui m'a très vite passionné et qui m'a permis de rencontrer les pionniers de la radio numérique, les industriels, les spécialistes du sujet dans différents pays d'Europe, et de constituer un solide réseau...

C'est à cette époque que vous avez eu envie de changer de secteur ?

Oui. Après avoir "fait le tour" de la question réglementaire, je me suis posé celle de mon avenir. J'ai alors quitté l'entreprise pendant un an pour faire un MBA (Master of business administration) à Toulouse dans le cadre d'un CIF (Congé individuel de formation), afin de compléter ma formation initiale pour l'étoffer en gestion/finance et management. N'ayant pas retrouvé ensuite de poste qui me convenait chez Alcatel, j'ai rejoint un de ses clients, un opérateur américain qui venait justement d'obtenir des financements au Nasdaq pour déployer en Europe un projet de bouquet de radios payantes. J'y ai ainsi exercé les fonctions de directeur de la stratégie et des affaires extérieures jusqu'à l'abandon du projet en 2009.

Cet abandon fut l'opportunité que vous évoquiez tout à l'heure ?

Oui, sur les quinze dernières années, quelques projets ont essayé de répliquer en Europe le succès qui s'est depuis avéré aux Etats-Unis, mais s'y sont mal pris en voulant attaquer l'Europe d'un coup : aucun n'y est parvenu !L'opérateur pour lequel je travaillais n'a pas dérogé à cette règle et a été contraint de liquider en 2009 la filiale européenne qui m'employait. Je me suis alors demandé ce que j'allais faire de cette expérience de 10 ans dans la radio numérique, et du réseau que j'avais développé. Je connaissais bien les raisons pour lesquelles ce projet ne s'était pas déployé en Europe et, après avoir reçu des échos positifs de la part de personnalités et professionnels du secteur que j'avais été amené à rencontrer dans le cadre de mes fonctions précédentes, j'ai eu la conviction que je pouvais reprendre avec succès ce projet en l'adaptant à l'échelon national.

Vous avez décidé de vous lancer seul dans cet ambitieux projet ?

Oui, mais dans une version assez différente : Onde Numérique se concentre aujourd'hui sur le marché français uniquement, et va démarrer son activité par étapes, en lançant tout d'abord un service dédié au domicile et à la mobilité smartphone, avant le véhiculaire. Cette approche nous permettra de nous concentrer en premier lieu sur les contenus et non sur "les tuyaux", puisque nous utiliserons les réseaux internet et 3G existants.Nous étendrons rapidement ensuite notre activité à la réception véhiculaire, pour laquelle nous sommes dans un processus d'obtention de licence du CSA. Si nous sommes sélectionnés, nous deviendrons le futur "CanalSat" de la radio en France pour les voitures. En réalité, je ne suis pas vraiment seul car j'ai rassemblé autour de moi, dans un comité stratégique, un certain nombre d'anciens cadres dirigeants issus notamment du secteur de la radio, de la filière musicale, et de l'industrie, qui m'apportent leurs conseils et leur soutien.

Vous considérez-vous toujours en phase de création d'entreprise ?

Oui car la phase d'amorçage d'un projet atypique de cette envergure est nécessairement très longue. Ma société a été créée en 2009. Elle est active mais ne réalise pas encore de chiffre d'affaires. Elle consolide un "écosystème" partenarial avec un ensemble de grandes entreprises françaises et européennes, issues du domaine des contenus, de la distribution, et des technologies. Le lancement des premières offres est quant à lui prévu pour 2013, et sera complété en 2014.

Comment avez-vous monté votre projet financièrement ?

Licencié économique, j'ai demandé à bénéficier de l'aide à la  création d'entreprise versée par Pôle emploi (ARCE) qui m'a permis de toucher 50 % de mes droits à l'assurance chômage. Cela m'a aidé à constituer le capital de départ de la société (SAS). Sans cette aide, je n'aurais jamais pu démarrer le projet.J'ai ensuite créé une petite holding regroupant des proches, des membres du comité stratégique, des business-angels, etc.Je ne me suis pas versé de rémunération pendant deux ans, mais aujourd'hui mon projet avance bien et je m'oriente vers une entrée en bourse en fin d'année.

Vous n'avez pas obtenu d'autre aide financière ?

Mon expérience, partagée par beaucoup d'autre start-up que j'ai rencontrées, est que la phase d'amorçage est une phase difficile à financer. Dans notre cas, le projet est certes innovant, mais revêt une envergure assez atypique, qui augmente d'autant cette difficulté.Force est de constater que les projets de croissance ou de développement, jugés moins "risqués", attirent plus facilement les capitaux. Cet état de fait est à intégrer comme une donnée d'entrée, qui est en fait assez culturelle. Elle se retrouve d'ailleurs dans les comportements à tous les étages de la création d'entreprise : là où en France seuls 20% des diplômés des grandes écoles de l'Hexagone disent vouloir se lancer dans l'entreprenariat, ils sont 80% aux Etats-Unis à s'y lancer, et à trouver effectivement plus facilement des financements… C'est évidemment dommage, puisque les projets innovants représentent un vivier de création de valeur important pour les territoires. Je pense que les pouvoirs publics sont de plus en plus conscients de cette situation, comme en témoigne la création de nouveaux instruments permettant d'aller au-delà des aides publiques "classiques", qui existent, mais qui sont aujourd'hui plutôt orientées sur l'accompagnement de projet d'innovations plus technologique que d'usages, par exemple. Heureusement, dans mon cas, j'ai pu profiter du travail de terrain effectué par la filiale qui m'employait pour tisser des partenariats clés avec des industriels, des distributeurs, etc. J'ai aussi pu racheter quelques actifs, et notamment des études de marché, au moment de sa liquidation. Cela permet de ne pas démarrer de zéro...

Vous avez bénéficié de l'aide d'un incubateur. Que vous a-t-il apporté ?

J'ai effectivement été coaché tout au long du processus de construction de mon projet par une chargée d'affaires de l'incubateur Midi-Pyrénées à Toulouse. J'ai beaucoup apprécié son regard sur le projet. J'ai également bénéficié de services et notamment d'un hébergement en pépinière. J'ai appris beaucoup de choses dans cette période, notamment sur les levées de fonds.

Quels conseils pourriez-vous donner aujourd'hui à de jeunes créateurs de start-up ?

Croire en soi et en ses convictions de base est essentiel. C'est dans cette assurance que l'on peut puiser la force de tenir la distance, et qui permet, jour après jour, de garder le cap de sa "vision" de départ. Pour autant, je crois qu'il est indispensable que cette vision soit confrontée avant de se lancer auprès de son entourage, puis auprès de personnes qualifiées plus "extérieures", afin d'être effectivement confortée. Etre à l'écoute et être capable de s'adapter à son environnement sont ensuite des éléments importants pour trouver le bon chemin en faisant face à tous les petits problèmes de la vie de l'entreprise, tout en réussissant à garder ce cap initial. Enfin, un ami m'avait dit avant de me lancer "est-ce que ton épouse est avec toi dans ce projet ?". Il avait raison de poser la question : l'aventure entrepreneuriale absorbe une part très importante de l'énergie familiale. Il faut pouvoir compter sur ce soutien indispensable. Elle a été admirable...

 

Photo de Franz Cantarano

Propos recueillis en juillet 2012 par Johanna Guery et Laurence Piganeau

   

Août 2012