La Chaire Entrepreneuriat de l'ESCP Europe : réservoir d'innovations pédagogiques ?

Vous intervenez au sein de l'option entrepreneuriat de l'ESCP Europe. Pouvez-vous nous la décrire ?

Je suis intervenant au sein de cette option sur la thématique innovation, développement de l'innovation. L'Option Entrepreneuriat est une spécialisation de niveau Master 2. Cette option s'adresse tant aux étudiants de l'ESCP Europe qu'aux étudiants extérieur de profils ingénieurs, designers, juristes, sciences politiques par exemple. Cette formation est ouverte à 45 étudiants et les cours sont dispensés en français. Nous avons le même programme à Madrid où les cours sont dispensés en anglais. Ce programme inclut un séjour d'étude où les étudiants doivent réaliser une mission de conseil auprès d'entreprises locales. La formation à Paris réalise sa mission à Shangaï en Chine. Celle de Madrid la réalise à Ho Chi Minh au Vietnam.

En quoi l'enseignement de l'entrepreneuriat est innovant à l'ESCP Europe ?

A l'ESCP Europe, l'hypothèse de base n'est pas d'apprendre pour ensuite faire mais faire pour apprendre. Tout ce que l'on fait a un enjeu avec le monde réel. Nous utilisons pour cela l'apprentissage par projet. Pour illustrer, nous revenons du Vietnam où les étudiants ont réalisé une mission de conseil pour le compte d'une entreprise en croissance vietnamienne dans le domaine de la joaillerie. A partir des propositions faites, les entreprises décideront de les mettre en pratique ou pas. Il y a donc un impact dans la vie de l'entreprise. Les étudiants réalisent également des événements qui réunissent environ 2 000 participants. Ils doivent pour cela trouver les financements, les locaux, des partenaires. Tous ces projets sont en lien avec des cours dans lesquels nous apportons deux choses : des techniques, des outils pour aider les étudiants à monter les projets et des éléments de réflexivité qui leur permettent de réfléchir à ce qu'ils font, pourquoi ça se passe comme cela. Et des grilles compréhensives pour mieux comprendre pourquoi ça marche ou pas. En général, dans les programmes classiques, une sélection des meilleurs éléments est faite, puis on les pousse à se surpasser en leur fournissant les outils et techniques. L'ESCP Europe n'a pas une logique individualisante des programmes. Nous proposons un format différent. Nous montons des projets collectifs dans le but de créer des communautés d'acteurs internes à l'ESCP ou extérieurs. Ce sont les échanges au sein de ce collectif qui sont enrichissants. Nous avons la vocation de former à l'entrepreneuriat et faire évoluer le mode d'enseignement dans les écoles de commerce avec l'idée de créer des modèles très ouverts en interaction et intégration avec la société. Les écoles de commerce sont assez fortes pour être visible au niveau mondial mais pas toujours pour être intégrées au niveau local. Nos étudiants, via nos programmes, doivent s'intégrer à l'écosystème local. A Madrid par exemple, nous ne sommes pas retranchés dans le campus quatre étoiles avec des études de cas. Les étudiants doivent aller sur le terrain rencontrer les acteurs madrilènes de l'entrepreneuriat, travailler avec des start-up, interagir, etc.  Le défi est de faire des apprenants des citoyens et pas juste des businessmen déconnectés de tout.Ces formations sont développées au sein de la chaire Entrepreneuriat de l'ESCP Europe (Chaire EEE).

Pourquoi créer une chaire en entrepreneuriat pour cela ?

La chaire EEE est un espace un peu à côté pour faciliter les relations avec l'extérieur, le développement de projets pédagogiques innovants. La chaire a été créée par la volonté des anciens élèves et soutenue depuis 2007 par Ernst&Young, qui la finance via la fondation de l'école. La chaire fait la différence en développant des programmes et des activités avec des formats originaux. Dans un fonctionnement traditionnel, on sépare les administratifs, les profs et les étudiants. La chaire entrepreneuriat fonctionne comme une start-up. Nous sommes peu nombreux. Par exemple Nathan Grass, un de mes collègues, va avoir un rôle administratif mais va également monter des événements de premiers plan (Made In ESCP Europe, Fête de l’Entrepreneur…), construire des  relations très riches avec les étudiants ou encore proposer des projets pédagogiques et des réflexions sur ce qu'est l'entrepreneuriat. Tout ceci est ensuite échangé et discuté avec l'équipe pédagogique. Pour vous donner un exemple, nous partageons notre bureau alors qu'il est rare qu'un professeur partage son bureau avec d'autres personnes que des professeurs. Tous les projets sont construits au sein de la chaire entrepreneuriat soit intra ESCP soit avec des partenaires entreprises mais aussi avec d'autres acteurs. Nous travaillons par exemple avec un artiste depuis de nombreuses années. Notre équipe est assez hétéroclite. Le principe est de séparer relativement peu les catégories et les acteurs pour favoriser la co-création. Nous travaillons depuis de nombreuses années avec Ernst&Young et nous avons développé depuis peu un partenariat avec BNP Paribas qui rejoint la Chaire Entrepreneuriat . Nous travaillons également avec des startups et des institutionnels, etc. pour monter différents événements.

Avez-vous une offre en direction des créateurs d'entreprises ?

L'ESCP Europe est une des écoles produisant le plus grand nombre de créateurs en France. Nous avons d'ailleurs la vocation de faciliter la création d'entreprise et la création d'emplois. Nous avons créé dès le lancement du régime de l'auto-entrepreneur en 2009, un programme qui s'appelle "Paris Factory" et qui accueille chaque année entre 100 et 150 entrepreneurs selon deux critères de sélection : "je veux grandir" et "j'ai déjà quelques clients". Avec ces critères, nous avons recruté des bac-12 à bac+12 de 50 ans ou 25 ans. Nous avons vocation à accompagner le développement entrepreneurial : accélération d'entreprise et création d'entreprise.

Est-ce que l'on peut dire que la Chaire EEE est un laboratoire d'innovations pédagogiques ?

L'équipe pédagogique de l'ESCP produit régulièrement des publications sur l'innovation pédagogique présentée lors de colloques de recherche au niveau mondial car nous pensons que ces pratiques pédagogiques innovantes ont vocation à être pensées, appréhendées d'un point de vu scientifique et être discutées au sein de la communauté des enseignants chercheurs mondiaux. Par exemple, un chercheur de Cambridge suit actuellement nos innovations pédagogiques et une personne a filmé récemment une de nos expérimentations "Improbable". Ces recherches et ces expérimentations permettent de penser nos programmes en lien avec des transformations qui nous dépassent : les modèles ouverts, les nouvelles technologies, la crise économique, etc. Il y a quand même pas mal de défis et de changements dans ce monde, qui demandent beaucoup de transformations nécessitant de ne plus avoir de cours magistraux avec un chapitre I, chapitre II, etc. C'est d'autant plus important en entrepreneuriat , qui implique des contextes d'actions incertains, flous où les objectifs  ne sont pas toujours précis. Comment pouvons-nous préparer des gens à ces contextes si nous leur dispensons des cours magistraux, avec des horaires fixes et des contrôles à la fin. Il faut monter des programmes pédagogiques cohérents apportant du flou, du concret, de l'émotion, des conflits, des échecs, etc. Cela, on ne le retrouve que très rarement dans des écoles de commerce classiques qui fonctionnent avec des routines car elles ont besoin de maîtriser les processus. En général, elles n'aiment pas trop les aléas, les conflits, etc.Pour illustrer ce qu'est une innovation pédagogique à l'ESCP Europe, l'expérimentation "Improbable" amène les étudiants de Paris et Madrid à réaliser des œuvres artistiques qui expriment la problématisation de l'événement qu'ils doivent organiser lors de leur formation. Au lieu de répondre à des questions, l'enjeu pédagogique est de poser une question car les entrepreneurs se posent des questions, ils doivent remettre en cause, challenger le statut quo. L'objectif est donc d'interroger les thèmes et de sortir des sentiers battus et du format classique. Pour en savoir plus, nous venons de finaliser un documentaire à ce sujet.

Quels sont les projets de la chaire ?

Elle travaille actuellement à monter une chaire en entrepreneuriat  à un niveau européen avec des activités sur chaque campus. Ce qui est en cours de développement car nous avons une option entrepreneuriat à Madrid, un incubateur (Blue Factory) à Paris, Berlin et Madrid, un institut sur la family business à Turin, des cours à Londres.  

Propos recueillis en juillet 2013 par Neïla Tabli

Juillet 2013