Baptiste, pouvez-vous nous expliquer la logique de fonctionnement des aides publiques au travers des différentes phases de développement d'un projet innovant ?
Les aides publiques sont organisées pour intervenir à tous les cycles de vie et de développement des projets de l'entreprise qui peuvent se résumer ainsi :- Phase 1 : réalisation de l'état de l'art- Phase 2 : travail de recherche et développement (R&D)- Phase 3 : innovation - Phase 4 : amorçage- Phase 5 : développement- Phase 6 : diversificationCes différentes phases sont présentées dans le graphique reproduit ci-dessous.
Qu'entendez-vous par "Etat de l'art" ?
Les idées "innovantes" reposent la plupart du temps sur des connaissances nouvelles qui sont formalisées selon une méthodologie que l'on appelle l'état de l'art. L'état de l'art, c'est la normalisation de l'état des connaissances. Cette phase consiste à rechercher toutes les informations existantes concernant un domaine technique, scientifique, etc. et à en réaliser une synthèse.
C'est donc une démarche préliminaire au travail de recherche et développement ?
Tout à fait, elle permet de rassembler tous les savoirs existants, en vue de ne pas reproduire des expériences qui auraient déjà été réalisées.La R&D quant à elle consiste à travailler sur l'état des connaissances, en réalisant deux activités principales qui vont permettre soit de "le décaler" (c'est l'accroissement des connaissances) soit de "l'expérimenter" (c'est le développement de nouvelles applications). A ce stade, les premières aides publiques mobilisables vont se traduire en termes de crédits d'impôt et de différents avantages fiscaux (abattements sur les charges de personnel...). On peut citer par exemple le CIR et le statut JEI qui est reconnu par l'UE comme la meilleure aide publique d'Europe.
Vous distinguez R&D et innovation. En quoi est-ce différent ?
En termes de formalisme, la démarche de R&D s'oppose à l'innovation. Cette opposition est une vue de l'esprit car elle ne porte que sur la méthodologie d'attribution des aides. Pour les projets de R&D, on va positionner les travaux par rapport à "l'état de l'art". Alors que pour l'innovation, on positionne les travaux par rapport aux besoins, c'est à dire au "marché". Dans les deux cas toutefois, la démarche consiste à cartographier l'environnement concurrentiel, qu'il soit lié à la connaissance ou à la performance économique. Pour simplifier, nous pourrions dire qu'une innovation est une invention qui se vend (qui trouve son marché). Ainsi, tant qu'une startup prospecte et n'a pas de client, celle-ci invente. Elle ne devient innovante que lorsque ses prospects deviennent des clients et reconnaissent la valeur qu'elle apporte.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette phase "Innovation" ?
On distingue deux périodes dans cette phase qui sont financées par des dispositifs complémentaires : la faisabilité et le développement. Pendant la période de faisabilité, comme son nom l'indique, on ne sait pas si le projet est "faisable". Il s'agit d'une phase de prototypage où l'on cherche à faire la " preuve du concept". On cherche à ce stade à avoir des certitudes sur l'issue à donner au projet, tant sur les points techniques que sur la façon de le commercialiser. Le risque étant maximum, l'échec est envisageable. Les financeurs proposent des subventions. L'argent est considéré comme comptablement perdu pour le financeur qui exige pour seule contrepartie que le projet soit conduit à son terme.
Les modes d'intervention des financeurs changent donc après cette période de faisabilité ?
Oui, à la suite de cette période, l'entreprise a une visibilité plus fine sur l'actif qu'elle souhaite développer. On entre donc dans une phase de développement qui consiste à réaliser des investissements en vue d'acquérir un avantage concurrentiel. A ce stade, la plupart des financeurs publics apportent leurs concours sous forme de dette, mais avec des délais de remboursement lointain. L'objectif consiste ici à "partager" la richesse dès que l'actif développé permet de dégager de la rentabilité (des profits). Ainsi, on introduit les notions de différé de remboursement du capital et d'amortissement patient du prêt. La logique est la même que pour un prêt étudiant où la banque accorde plusieurs années d'attente avant que le futur salarié commence à rembourser. Ce délai, entre 12 et 36 mois en moyenne, correspond à un cycle d'investissement en pure perte où l'entreprise doit trouver le moyen de monétiser et de rentabiliser son modèle économique grâce aux performances de son nouvel actif.
Quelles sont les caractéristiques de ces prêts ?
Ces enveloppes d'endettement sont la plupart du temps sans garantie personnelle. On retrouve très souvent l'Union Européenne comme garant de tout ou partie du capital prêté. Ce sont par exemple les fameux dispositifs du Plan Junker et de la Banque européenne d'investissement. Par ailleurs, ces dispositifs d'endettement peuvent comporter un intérêt ou pas. Quand ils en ont, en valeur absolue, le TEG (Taux effectif global) facial est souvent plus élevé que ce que peuvent proposer les partenaires bancaires. Cela s'explique par les conditions exceptionnelles d'emprunt. Aucune banque ne prêtera à une entreprise qui construit son actif ou est en train de le renouveler sans visibilité sur sa rentabilité à moyen terme.
Très brièvement, quels acteurs interviennent dans les phases suivant l'innovation, c'est-à-dire pendant les phases d'amorçage, de développement et de diversification ?
A ce stade, le produit est commercialisé et la visibilité sur les excédents de trésorerie générés (rentabilité) est plus fiable. Dès lors, ce sont les banques qui interviennent. La banque publique Bpifrance a aussi des produits positionnés sur ce cycle. Elle va se différencier en intervenant sous forme de financement du BFR et/ou en garantie de prêt bancaire visant à remplacer les garanties personnelles.
Pourquoi l'Etat intervient-il auprès des entreprises innovantes pour les aider ?
Cela peut paraiîre effectivement paradoxal. Après tout, l'intervention étatique sur un marché de libre concurrence pourrait s'apparenter à du dumping. Les aides seraient alors interdites. Il y a pourtant une logique que l'on pourrait qualifier de libérale. Le marché des capitaux privés est un marché. Etant défaillant sur les phases d'investissement à risque (R&D, innovation), l'Etat intervient directement pour rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande car la composante du prix des capitaux n'est pas suffisante. Ces phases de risques sont faciles à définir : elles dépendent soit de l'inconnu dans l'économie de la connaissance (phase de R&D) soit de la concurrence dans l'économie de marché (phase d'innovation).
Propos recueillis par Yoann Rotureau en août 2016
Schéma : fonctionnement des aides publiques à l'innovation
NB : ce schéma récapitule les principales aides publiques mobilisables en fonction de l'état d'avancement du projet. Il s'appuie, pour la phase de faisabilité, sur l'exemple d'un projet développé en Ile-de-France. La logique reste néanmoins la même quel que soit le lieu d'implantation. La région et la ville sont des partenaires à contacter en priorité à ce stade. Toutefois, les aides varieront d'un territoire à l'autre.