Créer une entreprise : une expérience riche pour des élèves scientifiques

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Enseignante en marketing, comment avez-vous été amenée à aborder l'entrepreneuriat avec vos étudiants ?

Cela vient de mon vécu d'étudiante ! A 19 ans, j'ai eu l'occasion de travailler sur un projet de création d'entreprise dans le cadre de mes études. Cette expérience inoubliable m'a donnée envie, de longues décennies plus tard, de proposer à mes étudiants ce même type d'expérience, si riche d'enseignements et accélérateur de vie !

En quoi consiste cette expérience ?

Les étudiants que je coache  ont tous une formation scientifique à la base. Ils ont, soit choisi la voie universitaire avant de nous rejoindre (médecine, pharmacie, …), soit suivi le parcours classique de la classe préparatoire à l'EBI. Quand ils arrivent en 4ème année d'école d'ingénieur, ils savent que cette année sera marquante pour eux. En effet, en plus du module que j'anime, ils auront également un projet à réaliser en qualité et un autre en formulation. J'ai donc face à moi un public novice en marketing d'étudiants ingénieurs, très demandeurs, qui doit faire face à un challenge que je leur impose : trouver une idée innovante, assimiler l'essentiel du marketing stratégique et opérationnel en 40 heures de cours, faire un business plan cohérent, et présenter 4 mois plus tard leur projet devant un jury de professionnels de la création d'entreprise et du monde des affaires.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre programme pédagogique ?

Il repose sur : - un choix illimité de l'innovation et de son secteur d'application, - une liberté totale dans l'organisation de la gestion du projet entre étudiants : rencontre avec des professionnels, appels à des compétences d'étudiants dans d'autres domaines (design notamment), etc. - un apprentissage des notions fondamentales liées au marketing et à la création d'entreprise, via des cours magistraux que j'anime (40 heures d'enseignement), - un enseignement complémentaire réalisé par un  autre professeur (3 heures), - un coaching d'évaluation par groupe de projet (10 heures), - une évaluation écrite d'un dossier complet sur la création d'entreprise, - une évaluation orale notée à la fois par des professionnels et par la promotion d'étudiants.

Comment est-il accueilli par ces apprentis entrepreneurs ?

Très bien. C'est l'un des moments les plus forts de leur scolarité. Dans les enquêtes d'opinion que nous réalisons auprès de nos anciens élèves, ce projet - entre autres - fait partie de leurs souvenirs les plus marquants. Cependant, il ne faut pas négliger la partie "stressante' pour les étudiants : savoir qu'un jury spécialisé en création d'entreprises et en marketing va les juger et leur poser des questions pièges les angoissent un peu !

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de projets imaginés par des ingénieurs en biologie ?

J'anime ces projets depuis maintenant 7 ans. A raison de 14 projets par an, nous avons aujourd'hui une base de près de 100 projets d'innovation réalisés par des étudiants. Je ne citerai que quelques projets inventés à l'EBI et qui ont été repris quelques années plus tard par les industriels : - kit de cosmétiques gourmands à faire soi-même, - accessoires de maquillage présentés comme un couteau suisse, - stylo cicatrisant les plaies, - protection hygiénique anti-auréoles, - recycleur à papier automatique, - réveil dégageant différentes odeurs suivant une programmation personnalisée, - gamme de chips de fruits, - perles alimentaires aux goûts de fruits à mettre dans du champagne, - assortiments de légumes frais dans une assiette plastique livrée avec sauce crudités, etc.

Le programme est-il soutenu pas la direction de l'école ?

Bien-sûr ! notre directrice fait partie chaque année des membres du jury ! Notre objectif est naturellement de développer la sensibilité entrepreneuriale de nos élèves, mais également de leurs donner envie de se lancer dans l'aventure entrepreneuriale.A ce titre, nous avons organisé : - une conférence, présentée par les acteurs de la pépinière d'entreprise de Neuville (95) et illustrée par le témoignage de nos étudiants incubés dans cette structure,    - des visites à la pépinière d'entreprises de Neuville avec retour d'expériences de sociétés, - des participations à des concours nationaux sur l'innovation comme Eco-Trophelia ou Moovjee ou  des concours internationaux comme GSVCE (Global Social Venture Competition) ou nos étudiants sont arrivés en finale.

A t-il fait des émules ?

Ce projet entrepreneurial est unique dans la scolarité des ingénieurs de l'EBI, par le fait qu'il organise un oral de synthèse des projets innovants devant 20 professionnels, et ce pour l'ensemble de la promotion des 140 étudiants-ingénieurs.Il a fait des émules car certains étudiants se sont laissé séduire par le défi de la création d'entreprise : 3 projets issus des 14 projets présentés en janvier dernier sont en incubation et verront certainement le jour dans les prochaines années.J'anime parallèlement pour des ingénieurs en fin de cursus un module sur le relancement de produit, où la problématique est différente de l'entrepreneuriat. L'accent n'est pas mis sur la volonté de créer ou non sa structure mais de comprendre les erreurs marketing commises par les leaders d'un marché, qui ont abouti à un échec commercial. Ce cours de majeure marketing et management demande de réaliser un véritable audit managérial de l'entreprise et du produit qui a été en échec. Pourquoi une multinationale ou une grosse structure avec des moyens financiers importants connait-elle un échec produit ? Les étudiants doivent analyser la politique de l'entreprise, comprendre les erreurs commises et faire des recommandations en modifiant légèrement le mix-marketing produit pour un relancement réussi.Les demandes pédagogiques sont donc différentes du projet entrepreneurial précédent.

Avec votre expérience, quels sont les principaux atouts et freins de la mise en place d'un dispositif entrepreneurial dans une école d'ingénieurs ?

Dans une école d'ingénieurs, l'aspect entrepreneurial est moins acquis comme une évidence par rapport aux écoles de commerce. Cependant, cela change progressivement et nos jeunes ingénieurs envisagent de plus en plus cette orientation comme une opportunité dans leur carrière professionnelle. Le dispositif entrepreneurial, quel que soit l'établissement, demande un fort investissement personnel de la part des responsables en charge de ce dispositif, qui vient le plus souvent s'ajouter à des heures d'enseignements lourdes. La direction doit donc faire corps pour motiver l'ensemble du corps enseignants et les étudiants.Aux étudiants également de jouer le jeu et de se dépasser chaque année pour faire encore mieux que les années précédentes, car tout ne peut pas reposer sur les épaules d'une seule personne.

Quelques conseils pour un professeur qui veut suivre votre exemple ?

Il lui faut beaucoup de disponibilité et d'écoute pour les élèves, une grande empathie et une volonté de les pousser le plus haut possible. Ne pas hésiter à leur mettre de la pression, car au final ils aiment cela et apprécient de se challenger entre eux.C'est une étape dans leur vie et un très bon galop d'essai avant la vie professionnelle.Au final, quel plaisir (et quelle fierté)  chaque année de voir leurs investissements personnels dans leurs projets d'innovation et la reconnaissance de grands professionnels à l'issue de cette journée !

Propos recueillis en avril 2012 par Aïni Hannachi

   

Avril 2012