Le développement par l'innovation de rupture

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Vous avez fondé Sunpartner à tout juste 30 ans, qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'entreprendre ?

La création fait partie de mon ADN et j'ai toujours aimé lancer des projets. Entreprendre, c'est la possibilité de réaliser à plusieurs des activités qui accompagnent les changements de nos sociétés. J'ai eu par ailleurs la chance de faire la rencontre de Joël Gilbert, astrophysicien, avec lequel nous partageons le goût de l'innovation et le souhait de développer des solutions durables.

Quelles ont été les premières étapes importantes de votre vie de chef d'entreprise ?

Le financement. Lorsque l'on se lance dans l'innovation à partir d'un dessin, il est nécessaire de trouver des fonds. Cette période fut riche, tant dans l'affrontement des difficultés rencontrées que dans la rencontre de personnes qui ont su prendre des risques à mes côtés. Par difficultés, j'entends le moment où il faut à la fois faire face à une trésorerie tendue et des défis technologiques. C'est ce qui marque le démarrage d'une aventure comme la nôtre.

Lors de cette phase de démarrage de l'activité, sur quels leviers avez-vous pu vous appuyer pour surmonter les difficultés ?

Afin de trouver des financements et de constituer une équipe à la hauteur de nos ambitions, nous avons pu compter sur le soutien de partenaires comme Bpifrance qui nous a apporté à plusieurs reprises son soutien notamment en matière de garantie et d'innovation. Nous privilégions des investisseurs dont les valeurs correspondent aux nôtres et qui s'engagent dans la durée et des fonds d'investissement qui nous accompagnent depuis la création. Sur le volet recrutement, nous avons été rejoints par une équipe de direction très expérimentée qui nous a permis de croître vite et de structurer l'entreprise. Nous avons aussi fait la rencontre de « family offices ». Le family office [1] est une organisation de personnes au service d'une ou plusieurs familles. Il offre un conseil aux familles au service exclusif de leurs intérêts patrimoniaux. Le family office suppose donc la préservation de la cohérence familiale dans une vision à long terme, transgénérationnelle. C'est ce dernier aspect qui intéresse particulièrement Sunpartner. Enfin, l'accès à des équipements électroniques a aussi été une des premières difficultés. Grâce à la plateforme Micro-PackS à Gardanne, nous avons eu accès à des équipements mutualisés, qui nous ont permis de démarrer notre activité de recherche & développement.

Vous êtes l'inventeur de la technologie « Wysips »[2], pouvez-vous nous dire en quoi consiste-t-elle et en quoi est-elle particulièrement innovante ?

La technologie Wysips est d'abord le fruit d'un travail d'équipe et de la rencontre entre plusieurs chercheurs. Elle consiste à rendre invisible les matériaux photovoltaïques pour permettre à n'importe quelle surface de produire de l'énergie sans altérer le design ou l'esthétisme des produits.

Quels sont les domaines d'applications de cette technologie et leurs perspectives ?

Les objets sont de plus en plus connectés et le besoin d'énergie local pour sécuriser leurs fonctions croît. Notre technologie permet d'apporter de l'énergie à une vitre pour alimenter un store, un système d'occultation, de l'éclairage, sans se connecter au réseau. Elle permet aussi d'autonomiser un panneau de signalisation ou encore un panneau d'affichage publicitaire. Elle permet aussi d'apporter de l'énergie à un téléphone mobile, une tablette, un e-book, une montre ou une étiquette électronique. Dans ces dernières applications, il s'agit de sécuriser des fonctions. Par exemple : le paiement à distance, l'appel d'urgence, les cartes d'embarquement... L'important est de toujours déceler la valeur d'usage et le gain apporté par la technologie. En plus de produire de l'énergie, notre technologie est aussi capable de transmettre des données grâce à sa compatibilité avec le LIFI, le Wi-fi par la lumière.

Vous avez justement présenté en décembre dernier le premier smartphone solaire compatible LIFI, quels espoirs placez-vous dans cette nouvelle solution de communication ?

Le LIFI permet de transmettre des données avec un très haut débit et d'apporter des fonctions de géolocalisation. Il est donc très probable que cette technologie connaisse un bel avenir. La Chine fait partie des pays qui étudient de près cette technologie pour un déploiement dans les bâtiments et autres infrastructures. Nous savons aussi que plusieurs fabricants de LED (diode électroluminescente) ou opérateurs d'énergie électrique s'y intéressent. Même s'il faudra du temps pour que cette technologie soit déployée, on commence à voir apparaître des sites équipés, dans des musées par exemple. Il était donc important pour nous de positionner notre technologie afin d'offrir à nos clients une nouvelle fonctionnalité en plus de la production d'énergie.

Quel est le modèle économique de Sunpartner ?

Notre modèle économique est de breveter nos technologies (plus de trente-cinq brevets déposés à ce jour). Nos clients se trouvent dans le secteur du bâtiment, du transport, du mobilier urbain et des produits nomades dont la téléphonie. L'objectif que nous poursuivons est de créer des partenariats avec les industriels capables de s'adresser au marché le plus large possible. Par exemple, dans le secteur du transport, nous avons développé avec notre partenaire Vision Systems un hublot
d'avion
à
protection
solaire
dynamique
alimenté
par
un
verre photovoltaïque
 transparent.
Concrètement, il s'agit d'un vitrage auto-obscurcissant intégrant une protection solaire autonome en énergie. Baptisée Energia, cette solution rend cette fonction totalement autonome du circuit électrique de l'avion et vise l'alimentation locale des smartphones, tablettes tactiles et autres équipements électroniques des passagers. Dans le secteur de l'affichage urbain, nous avons présenté aux côtés de notre partenaire Prismaflex International, les
premiers
panneaux
d'affichage
 publicitaires déroulants autonomes en énergie lors du salon Viscom Paris en septembre dernier. Les premiers panneaux d'affichage devraient être commercialisés en 2015. Nous concevons actuellement des prototypes de smartphones équipés de sa technologie Wysips Crystal pour trois géants mondiaux
de
la
téléphonie. Cette technologie placée entre la dalle tactile et l'écran du téléphone mobile contribue à charger la batterie de l'appareil lorsqu'il est utilisé ou exposé à la lumière naturelle ou artificielle.

La micro-énergie et l'intelligence énergétique sont-elles appelées à se généraliser à tout type de support ?

J'en suis persuadé. Notre monde est en train de se transformer. Produire au plus près du besoin de consommation va devenir une réalité et rééquilibrera la mosaïque énergétique concentrée sur une production d'énergie centralisée. Cela implique d'apporter de faibles quantités d'énergie, en comparaison de ce qui est injecté sur le réseau, directement au produit final. Par ailleurs, il faudra coupler efficacité énergétique avec sobriété énergétique. La combinaison de ces tendances demandera d'intégrer les sources de production d'énergie dans notre environnement accompagnées de leur système de gestion intelligent. Micro-énergie et intelligence énergétique constituent donc deux tendances fortes du secteur.

A quoi ressemblera Sunpartner dans 5 ans ?

Sunpartner procède actuellement à sa sixième levée de fonds, qui sera achevée au premier semestre 2014. Depuis, 2010, notre PME a levé un montant total de 18,1 millions d'euros en grande partie issus de fonds privés (15,5 millions d'euros) mais également grâce au soutien de partenaires publics, notamment Bpifrance, l'Ademe et plusieurs collectivités territoriales. L'entreprise fédère aujourd'hui une équipe de 40 collaborateurs et double ses effectifs chaque année. Nous préparons l'ouverture de deux bureaux cette année, en Asie et aux Etats-Unis et nous visons un chiffre d'affaires cumulé de 100 millions d'euros à fin 2016. Notre objectif est de devenir un leader des surfaces intelligentes. Nous travaillons déjà à de nouvelles applications qui constitueront nos relais de croissance. Nous investiguons notamment les secteurs du textile et des serres photovoltaïques.

Un conseil pour guider les nouveaux chefs d'entreprise sur la voie du développement ?

Nous sommes dans une époque difficile où donner des conseils à mes pairs serait bien présomptueux. Les secteurs sont tous tellement différents et les enjeux tellement particuliers. Je pense que chaque chef d'entreprise n'a d'autre choix que d'être très à l'écoute de son marché, à la recherche d'innovation tant dans les produits, que dans les services ou dans le modèle économique. Etre capable de s'adapter en permanence est la clé dans un monde qui bouge vite. Pour cela, et c'est contradictoire, il faut prendre du temps pour sortir du cadre et envisager d'autres courants qui permettent de se différencier. Et puis continuer à prendre des risques, même quand on a l'impression d'être sur des rails. En bref, il faut rester éveillé ! Enfin, penser à notre environnement doit aussi devenir le moteur de l'entreprise. Développer sans avoir conscience que nous avons un stock fini de ressources est à mon sens une voie sans issue. Réinventer, et c'est difficile, nos entreprises pour qu'elles se développent de manière à préserver ce qu'il nous reste, doit devenir le challenge de tout chef d'entreprise.

[1] Ensemble de services proposés par les banques privées pour leurs clients les plus fortunés (au moins 10 millions d'euros de patrimoine) afin de leurs permettre de conserver, de gérer et de transmettre le patrimoine financier, professionnel, social et familial d'une famille sur plusieurs générations.

[2] « What you see is photovoltaic surface » (ce que vous voyez est une surface photovoltaïque).

Propos recueillis par Vincent Le Brech en février 2014

Février 2014