Ghaees Alshorbajy, de la Syrie à KaouKab

Entreprendre comme une évidence

Grâce à sa détermination, sa petite société KaouKab a pu voir le jour quelques années seulement après son arrivée en France. Pour Ghaees Alshorbajy, entreprendre est une évidence. Depuis son enfance à Daraya, au sud de Damas, jusqu'à Montreuil, son intérêt pour le recyclage est devenu son obsession entrepreneuriale. "Quand j'étais enfant, je m'étais organisé pour récolter des déchets que je livrais ensuite à un collecteur ambulant, qui me donnait en échange quelques pièces qui nous permettaient, à mes amis et moi, d'acheter des bonbons", se souvient-il. 

Des stages chez Paprec, à la mairie de Paris ou Lemon Tri pour se former

Lui qui n'obtiendra jamais son diplôme d'ingénieur à cause de la révolution syrienne, fuira au Liban en 2012, puis en Turquie. Sans diplôme, mais avec cette même ambition : créer son entreprise de valorisation des déchets métalliques. A Tripoli ou Istanbul, il tente à chaque fois de monter une société. Mais le sort s'acharne. "Je me suis fait expulser du Liban et, en Turquie, je me suis mis à douter, à déprimer". Grâce à des contacts à l'ambassade de France, il arrive à Paris en mars 2015, seul et ne parlant pas le français. Mais avec un atout sérieux : un sens certain du contact. 

Son statut de réfugié et un titre de séjour en poche, le Syrien apprend la langue de Molière et s'inscrit à la Sorbonne. Mais Ghaees s'ennuie en licence de management. Surtout, il ne pense qu'à une chose : découvrir et comprendre le recyclage des métaux en France. "Grâce à mes contacts, j'ai pu faire des stages chez Paprec, à la mairie de Paris ou dans la start-up Lemon Tri. Cela m'a permis de comprendre comment les choses fonctionnaient ici en France et de trouver des idées", relate-t-il. 

Singa, une communauté pour les réfugiés entrepreneurs

En parallèle, Ghaees Alshorbajy multiplie les rencontres et découvre Singa, au hasard d'un post Facebook. L'association, qui se présente comme un mouvement citoyen, forme une communauté de soutien autour des personnes réfugiées, sur des thématiques sociales, culturelles et entrepreneuriales.

Depuis 2016, l'association Singa a accompagné plus de 125 projets à Paris et à Lyon. Fin 2018, à Paris, près de la moitié des entrepreneurs aidés généraient du chiffre d'affaires et 22 d'entre eux avaient créé un ou plusieurs emplois. En 2019, Singa a lancé un accélérateur avec les Fondations Edmond de Rothschild. Huit premiers créateurs l'ont intégré, dont Ghaees Alshorbajy.

 "Avec Singa, j'ai obtenu des conseils et un mentor, suivi des ateliers... J'ai appris à monter un business plan solide, à définir la valeur ajoutée de mon activité et, petit à petit, mon projet s'est modifié", raconte-t-il.

Remotivé, Ghaees Alshorbajy part à la rencontre de petites et moyennes entreprises, ses futurs clients, pour comprendre leurs besoins en matière d'évacuation des déchets métalliques. Il échange également avec des collecteurs indépendants de métaux, habitués à les revendre aux grands groupes de recyclage. "C'est là que j'ai eu l'idée de créer une application qui ferait le lien entre les deux". KaouKab, "le Tinder du recyclage de métaux", était né. 

Une application pour évacuer rapidement et gratuitement les déchets métalliques

L'application fonctionne selon une idée simple : les entreprises désireuses de se débarrasser de leurs déchets métalliques gratuitement indiquent le volume à récupérer et le lieu. L’information est accessible aux collecteurs indépendants partenaires et ces derniers récupèrent la matière dans la journée. Puis la livraison s’effectue au groupe Derichebourg Environnement, partenaire de KaouKab. Les collecteurs touchent 20 % du prix de revente. Aujourd'hui, KaouKab possède une dizaine de clients réguliers et travaille avec cinq conducteurs-collecteurs.  

Des financements et des concours en appui

L’entreprise est lauréate de divers concours, dont le prix Créadie Entrepreneuriat Solidaire Ile-de-France et le concours La Fabrique Aviva en 2018. L'entrepreneur syrien a obtenu plusieurs financements de lancement, de la part de l'Adie ou de Faire (Fonds d'action et d'innovation des réfugiés entrepreneurs). Il a récemment sollicité Bpifrance pour poursuivre son développement. 

Faire est un fonds de dotation créé en 2018. Sa mission est double : 
• soutenir et donner aux réfugiés et migrants les moyens de devenir des entrepreneurs accomplis en France,
 • promouvoir une nouvelle vision du rôle des réfugiés et des migrants et proposer de nouvelles approches pour faciliter leur inclusion et leur contribution entrepreneuriale dans la société française. 


Ghaees Alshorbajy sait que la route est encore longue, mais les bonnes nouvelles, ces derniers temps, se succèdent. L’équipe s’étoffe avec un associé, Nicolas Eyguesier, économiste et universitaire, ainsi qu'un stagiaire. L'entrepreneur va prochainement installer ses bureaux au sein du nouvel incubateur pour personnes réfugiées inauguré en 2019 par la ville de Montreuil, en Seine-Saint-Denis. 

Ghaees admet que "créer son entreprise en France, quand on est réfugié et que son accent peut susciter de la méfiance, n'est pas toujours simple". Mais sa détermination, intacte, lui a permis d'avancer et de viser haut. "Quand nous aurons développé notre clientèle et notre activité en Île-de-France, nous aimerions nous étendre à d'autres grandes villes et, un jour, car c'est toujours mon rêve, à l'international", confie-t-il. 

Décembre 2019