Introduire le bio dans les cantines : le pari de Christine !

Quelle est l'activité de votre entreprise ?

Je voulais faciliter l'introduction d'une alimentation bio, saine et de proximité en restauration collective. J'ai donc décidé de créer une plateforme d'approvisionnement, chainon manquant entre les producteurs et les structures de restauration collective. Tous les produits que nous proposons sont bio ou en conversion (c'est-à-dire en transition vers la certification "Agriculture Biologique") et de proximité. Nous avons une démarche globale. Nous proposons bien évidemment des produits de base, mais nous avons aussi conçu des menus clés en main, avec les fiches techniques, les grammages, validés par un chef et un diététicien. Nous cherchons aussi à sensibiliser nos clients sur le fonctionnement de la filière bio, sur les gens derrière les produits, avec des photos des producteurs, des parcours illustrés, etc.

D'où viennent les produits bio proposés ?  

Nous avons un principe : que clients et producteurs soient les plus proches possibles géographiquement.Par exemple, si nous ne trouvons pas un produit en Pays de Savoie (parce que la filière n'existe pas encore ou que les produits demandés ne sont pas adaptés au climat), nous cherchons un producteur en région Rhône Alpes. Evidemment, des denrées comme le chocolat ou les bananes ne viennent pas de France métropolitaine ! Mais quand un produit existe à proximité, nous privilégions l'approvisionnement local. Ainsi, 55% des producteurs avec lesquels nous travaillons sont en Pays de Savoie, et 80% sont en Rhône-Alpes.

Quel a été votre parcours vers la création de cette entreprise ?

A la base, je n'avais pas spécialement envie de créer mon entreprise : je ne suis pas entrepreneure dans l'âme ! Après une école de commerce, j'ai travaillé 5 ans dans l'industrie agro-alimentaire et 8 ans en grande distribution. En 2003, j'avais envie de changement et j'ai repris un cycle d'études en enchaînant un MBA et  un Master éthique et développement durable. Au même moment, mon mari projetait de s'installer en tant qu'accompagnateur en montagne et guide naturaliste, nous avons alors décidé de nous installer en Haute-Savoie. J'ai ensuite travaillé 5 ans comme Directrice développement durable pour un réseau de jardineries où nous avons supprimé tous les engrais et pesticides chimiques des rayons. J'y ai pris conscience de l'importance des liens environnement-santé. Le véritable déclic s'est produit quand mon fils a commencé à manger à la cantine. C'est là que j'ai décidé de me consacrer à la promotion des produits bio et de proximité.

Pourquoi avoir décidé de vous concentrer sur la restauration collective ?

La restauration collective s'adresse à un public large et socialement diversifié. Elle permet à chacun d'accéder au bio. Concernant les publics scolaires, l'école joue un rôle particulièrement important dans les apprentissages alimentaires. Par ailleurs, la restauration collective est un milieu très exigeant, qu'il s'agisse des aspects sanitaires, de la qualité des produits ou de la livraison. Il est donc difficile pour des petits producteurs de travailler en direct avec ce secteur. 

Pour quelle forme juridique avez-vous opté ?  

La structure juridique Scic (Société coopérative d'intérêt collectif) collait de façon évidente avec notre projet. En effet, notre activité présente un caractère d'utilité sociale. Par ailleurs, l'esprit coopératif et la gouvernance collective correspondent à nos valeurs. Enfin, ce statut juridique a l'avantage de permettre à des collectivités publiques partenaires de devenir associées.  Dans un premier temps, nous  avons créé une association, qui a permis de monter un collectif autour du projet et de mobiliser des partenaires. Les démarches ont été longues : il a fallu 9 mois et beaucoup d'énergie avant d'ouvrir la plateforme et de réaliser les premières livraisons. Heureusement je n'étais pas seule : j'ai eu la chance d'être accompagnée par un co-fondateur qui s'est beaucoup impliqué bénévolement à mes côtés. Nous avons récemment transformé l'association en Scic. J'occupe les fonctions de gérante (bénévole) et de directrice (salariée) aux côtés de nos deux salariés. Les associés de la Scic sont les salariés, les producteurs et différents soutiens (personnes physiques ou morales). Plusieurs collectivités locales devraient rentrer par la suite.

Avez-vous bénéficié d'un accompagnement ?

J'ai bénéficié de nombreux appuis. En particulier, le réseau France Active m'a permis de finaliser le business plan. J'ai bénéficié d'un prêt d'honneur et d'une garantie, qui ont fait levier sur un prêt bancaire. L'Urscop m'a aidée pour la transformation de l'association en Scic et pour son refinancement. Cet accompagnement a certes un coût, mais il le vaut réellement. En effet, créer une Scic est un processus très complexe, avec de nombreux aspects juridiques pointus et méconnus. Etre suivie par des spécialistes m'a permis de gagner du temps et de la sérénité.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Pour l'instant, les choses se sont plutôt bien passées ! Comme tous les créateurs, nous avons eu tendance à être un peu optimistes avec les chiffres au départ. Finalement nous n'avons pas atteint notre chiffre d'affaires prévisionnel la première année – la faute à l'inertie liée au démarrage de l'activité. Nous avons néanmoins bénéficié d'un certain nombre de facteurs chance : - la réduction des délais de paiement pour les collectivités nous a permis de revoir notre BFR à la baisse ; - la conjoncture est difficile, mais nous bénéficions d'une vraie dynamique de fond grâce à la prise de conscience collective sur la qualité de l'alimentation.

Quel conseil donneriez-vous à un créateur qui, comme vous, chercherait à entreprendre à la campagne ?  

Tous les projets de création d'entreprise demandent beaucoup de temps et d'énergie. Cela pèse forcément sur la vie familiale et il est indispensable d'être soutenu par son conjoint. Il est aussi utile de s'associer avec quelqu'un, cela permet de confronter ses idées et de mieux avancer. Aujourd'hui je gagne beaucoup moins d'argent qu'avant : il faut savoir jusqu'où on est prêt à aller, faire des arbitrages financiers...  Ainsi, notre famille a modifié en profondeur sa façon de vivre, en adéquation avec la prise de conscience qui m'a conduite à entreprendre dans la bio.

Propos recueillis par Anne-Sophie Poupin en octobre 2012

   

Novembre 2012