L'entreprise, un acteur citoyen du monde

Vous avez lancé la marque de cosmétiques oOlution au cours de l'année 2013, deux ans après avoir créé votre entreprise Seed to Seed. Quelles ont été les principales étapes de votre projet ?

J'ai commencé à y travailler en avril 2010. J'ai très vite pris contact avec l'Ademe à qui j'ai exposé mon projet : créer la cosmétique du 21eme siècle c'est-à-dire la plus engagée et responsable possible. J'ai immatriculé l'entreprise plus d'un an après. Entre temps, j'avais mené une étude bibliographique sur un grand nombre d'ingrédients et identifié le laboratoire avec lequel j'allais travailler. J'ai lancé la marque oOlution en mai 2013 après une période relativement longue de recherche et développement. La production a eu lieu en mars 2013 et la commercialisation a débuté en mai dernier.

Quel a été le rôle de l'Ademe ?

Il me paraissait important d'avoir une démarche cohérente c'est-à-dire d'envisager la responsabilité environnementale de l'entreprise d'une manière globale. L'Ademe m'a conseillé de faire une étude d'éco-conception avec une méthodologie particulière nommée "l'analyse de cycle de vie". Cette approche permet d'étudier les impacts d'un produit à toutes les étapes de son cycle de vie, depuis la culture des ingrédients jusqu'à sa fin de vie, en passant par son transport, sa fabrication, sa distribution et son utilisation. Les experts en éco-conception de La Coopérative Mu, qui m'ont accompagnée sur ce projet, ont ainsi analysé les impacts des produits sur le réchauffement climatique, l'eutrophisation des eaux douces, la toxicité humaine, etc. Nous avons étudié plus de 14 indicateurs différents afin d'identifier les impacts les plus importants et les solutions pour les réduire. L'objectif était d'être écologiquement le plus efficace possible.

Pouvez-vous donner un exemple ?

J'ai, par exemple, étudié la question du transport des ingrédients. Nous travaillons avec beaucoup de petits producteurs français mais nous utilisons aussi certains composants, comme le beurre de karité ou l'huile de baobab, provenant de pays étrangers comme le Sénégal ou Madagascar et qu'il faut donc acheminer jusqu'ici. Cette étude a permis de démontrer que leur transport n'avait qu'un impact secondaire. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, ce sont surtout les phases de distribution et d'utilisation des produits qui ont le plus impact, notamment sur la production de gaz à effet de serre (réchauffement climatique) et sur l'eutrophisation des eaux douces et des eaux marines. L'utilisation du coton jetable pour se nettoyer la peau avant de passer la crème, par exemple, est très impactant car la culture du coton est celle qui utilise le plus de pesticides au monde.

Quelles actions avez-vous mis en place suite aux conclusions de cette étude ?

Nous proposons sur notre site, pour chacun des articles que nous vendons, un onglet "Impact" qui indique cinq façons de réduire l'impact des produits en phase d'utilisation. En tant que producteur, j'ai fait le maximum pour réduire à la source un grand nombre d'impacts mais le consommateur a aussi son rôle à jouer. Je pense qu'il appartient aussi au producteur de l'éduquer, de lui donner toutes les clés, pour qu'à son niveau, il puisse également agir.

Comment avez-vous mené vos travaux de recherche et développement ?

J'ai trouvé un laboratoire prêt à m'accompagner dans cette aventure. Il a accepté mon cahier des charges inouï : faire des cosmétiques biodiversifiés en actifs, avec des formules d'origine 100% naturelle sans dérivé d'huile de palme, etc. C'était une première victoire car ce cahier des charges a fait peur à de nombreux laboratoires qui l'estimaient impossible à respecter. J'ai passé un contrat de prestation de recherche avec le laboratoire et j'ai financé le développement de la formule sur mes fonds propres avant de créer mon entreprise. Le chemin a été très long et très compliqué et j'ai parfois douté car apporter une innovation dans la façon de formuler est bien plus long et plus risqué que d'introduire un actif "marketing" dans des formules cosmétiques qui restent toutes dans le même schéma.

Intégrez-vous également la dimension environnementale dans la gestion de votre entreprise ?

Oui absolument. Nous veillons par exemple à être le plus sobre possible en matière de consommation énergétique. Au départ, je pensais naturellement stocker les produits dans des réfrigérateurs mais nous avons trouvé un lieu de stockage souterrain "au frais", ce qui réduit bien sûr notre consommation. Nous-mêmes nous veillons à éteindre la lumière dès que possible ; toutes nos étiquettes d'expédition des colis sont imprimées sur le recto de papier déjà utilisé sur une face, etc. Il me paraît important de souligner que le respect social et environnemental se conjugue aussi avec une performance économique supérieure. La plupart du temps on se rend compte qu'une démarche de RSE, ne serait-ce que d'un point de vue écologique, se traduit par des économies et contribue en cela à une meilleure santé financière de l'entreprise.

Comment avez-vous choisi votre partenaire de fabrication ?

J'ai choisi celui qui offrait la meilleure réponse à mes attentes. Il était essentiel de trouver la bonne combinaison : compétences recherchées, état d'esprit, souplesse, volume des commandes, proximité géographique etc. La phase de fabrication a été particulièrement examinée. Le fabricant avait déjà mis en place certaines pratiques. Nous lui en avons également suggéré d'autres, après avoir identifié des marges de progrès au niveau du recyclage de l'eau ou de son chauffage par exemple. L'éco-conception permet d'établir un planning des améliorations en identifiant ce qui est urgent et faisable immédiatement et de tracer un plan de route pour les années futures, une sorte de cartographie de tous les points d'amélioration.

Comment commercialisez-vous vos produits ?

Nous avons trois canaux principaux de commercialisation : notre site internet oolution.com, des ventes événementielles et des ventes par l'intermédiaire de comités d'entreprise. 80% de notre CA est assuré par notre site qui bénéficie d'un très bon taux de conversion. C'est très encourageant mais nous pensons pouvoir faire encore mieux ! L'année prochaine, nous espérons avoir quelques points de vente physiques grâce au référencement de nos produits dans des boutiques à Paris et en Province.

A quel moment de votre parcours avez-vous pris la décision de créer une entreprise qui tienne compte de la dimension environnementale ?

Je viens d'une famille d'entrepreneurs. J'ai toujours su que j'allais entreprendre mais je souhaitais créer une entreprise engagée en termes de responsabilité sociale et environnementale. Je suis assez engagée à titre personnel. Je pense que l'entreprise est un acteur citoyen du monde. Etre entrepreneure, cela me permet d'appliquer mes valeurs dans ce que je fais. En tant que salarié, il plus difficile de le faire car on n'en a pas toujours les moyens. L'entrepreneuriat est pour moi une manière de mettre en œuvre les valeurs qui me sont chères, de donner un sens profond à ma vie, avec l'idée de participer à la solution plutôt que d'être spectatrice du désastre. Au cours de ma formation, en étudiant la génétique et les écosystèmes, j'ai été frappée de voir combien la notion de diversité était la clé de voute de l'extraordinaire capacité du vivant à s'adapter. De là, a germé l'idée de soins qui s'adapteraient à la peau de chacun grâce à leur diversité en actifs.

Avez-vous créé immédiatement après vos études d'ingénieur ?

Non car je ne me sentais pas encore prête. J'ai travaillé plus de six ans pour un grand groupe de cosmétiques avant de sauter le pas. Je me suis rapprochée de la CCI du Val de Marne qui m'a orientée vers le Centre francilien de l'innovation. Cet organisme m'a beaucoup aidée notamment pour identifier certaines des aides dont j'ai pu bénéficier : Aide à la maturation de projets innovants (AIMA, Région IDF et Bpifrance) pour le travail de formulation, aide de l'Ademe pour l'étude d'éco-conception, prêt d'honneur de Scientipole. Ce dernier prêt nous a permis de passer, après la R&D, à la phase industrielle. Enfin, je suis devenue la 1ere lauréate du Réseau Entreprendre Val de Marne. Ce réseau propose un mentorat et l'adhésion à un club des lauréats. Je viens également d'intégrer un autre club du réseau Entreprendre, le "Club des engagés" avec lequel je vais travailler sur la dimension RSE des entrepreneurs et la rédaction d'un livre blanc sur ce sujet passionnant.

Pourquoi oOlution ?

Par référence à l'économie circulaire car OO est le signe mathématique de l'infini. Une façon de dire que le XXI siècle doit s'inspirer de plus en plus de la nature, dans laquelle les écosystèmes fonctionnent de manière cyclique et sans production de déchets. Plus notre économie mimera le fonctionnement du vivant, plus on arrivera à être durable et à relever tous les défis environnementaux qui nous attendent. Nous y serons bien obligés, de gré ou de force, alors autant le faire de manière proactive et innovant Propos recueillis en mars 2014 par Catherine Sid etoile.gifRetrouver Anne-Marie Gabelica en vidéo :
Mars 2014