Low-cost ou innovation frugale, un vrai défi pour les entreprises

Pouvez-vous définir la notion de low-cost ?

Low-cost signifie « coût bas » et non « bas de gamme ». J'insiste sur ce point car il y a souvent confusion. Low-cost veut dire que l'on donne priorité au coût et de ce fait au prix comme critère de définition du produit. Dans une période où le pouvoir d'achat baisse, les individus souhaitent garder leurs habitudes de consommation. Ils veulent des produits qui aillent à l'essentiel, débarrassés de l'accessoire et de l'inutile pour arriver à quelque chose de plus « ramassé ». En Inde, on appelle ce concept la « frugal innovation ». Ceci est le point le plus important. Arriver à faire moins cher, sans faire du bas de gamme, tout en étant rentable. C'est un vrai défi économique, technique et industriel. Les accessoires ou options sont fournis en plus si le client les souhaite, moyennant un supplément de prix. La valeur du produit ou service est ainsi reconstituée. Le low-cost ne diminue pas nécessairement le prix final.

Existe-t-il un lien entre low-cost et innovation ?

Dans l'histoire, les grandes vagues d'innovations arrivent après une vague d'importants progrès scientifiques qui donnent naissance à de nouvelles technologies, comme les clés USB, le GPS, le GSM, etc. Le low-cost remplace des briques technologiques anciennes et coûteuses par des nouvelles briques beaucoup plus efficaces. C'est ce qu'a fait par exemple Easyjet qui propose des voyages 40 à 50 % moins chers avec les mêmes avions, les mêmes aéroports mais la réservation se fait en ligne, etc. Le low-cost utilise le progrès technique pour réduire le coût de façon significative tout en proposant un produit ou service de même qualité ou meilleur que l'existant. Vient ensuite généralement une phase d'innovation radicale qui consiste à repenser complètement le produit en intégrant toutes les nouvelles techniques.

Comment définissez-vous l'innovation ?

Il y a trois composantes dans l'innovation : elle intègre le meilleur état des connaissances scientifiques, techniques, etc., dans un produit ou un service créatif, dans l'objectif d'améliorer la satisfaction de la société et des individus (réduire les coûts, les accidents, la pollution, les risques...).

Qu'entendez-vous par « créatif » ?

Les connaissances ne s'organisent pas toutes seules. Aujourd'hui, avec 12 millions de chercheurs dans le monde et plus de 2 millions de brevets par an, il y a bien un choix à effectuer dans la conception de quelque chose de nouveau. Cette « synthèse créative » est au cœur de l'innovation. L'enjeu étant bien d'améliorer la vie. « Améliorer la condition humaine » disaient les grands innovateurs de la Renaissance. Aujourd'hui, environ deux tiers des innovations sont rejetées par la société.

La logique du low-cost peut-elle être pertinente pour les petites entreprises ?

Pour les entreprises, grandes ou petites, la question ne se pose pas en termes de choix mais de contexte. Concrètement, dans la période actuelle, il y a stagnation voire baisse du pouvoir d'achat. Cette situation touche toutes les classes sociales, y compris les classes supérieures très imposées. Conséquence : la vague de low-cost balaie tout sur son passage. Si l'entreprise refuse de considérer cette dimension, elle risque de perdre 40 % de son activité et ceci est vrai dans tous les secteurs y compris celui du luxe. Aujourd'hui, la voiture la plus vendue de Renault est le modèle Duster qui est un véhicule low-cost. Si la grande entreprise fait du low-cost en simplifiant ses process, en standardisant son offre et en s'appuyant sur de gros volumes, la petite entreprise a d'autres atouts. Son accès aux technologies est comparable à celui des grandes entreprises, même si elle ne fait pas la recherche elle-même. Ses coûts de structures sont plus légers, elle est plus souple, a moins de frais généraux. Elle est aussi plus proche de ses clients et connaît mieux leurs attentes.

Les startups intègrent-elles en général dès le départ cette logique de low-cost ?

Oui je dirais, presque par définition. Généralement, une nouvelle entreprise ne peut entrer sur un marché qu'avec une innovation puisqu'il y a une offre existante. Aujourd'hui, l'essentiel des startups arrive sur un marché grâce à une offre intégrant une réduction des coûts liée généralement à l'utilisation d'une technologie nouvelle ou d'une combinaison de technologies avancées et grâce à une meilleure analyse marketing. Le nouvel entrant commence petit mais il commence avec le dernier état de l'art.

Les considérations environnementales favorisent-elles le développement du low-cost ?

Oui, on peut dire qu'actuellement les questions environnementales sont un vrai « booster ». Prenons un exemple dans le secteur automobile. La voiture européenne a perdu 50 kg par an depuis 5 ans. Elle consomme donc moins et coûte moins cher. En ce moment c'est « slim-fast » à tous les étages ! Il faut dire qu'elle avait pris 300 kg en 15 ans ! Autre exemple, dans le secteur de la restauration, les cuisines professionnelles low-cost permettent de réduire de 35 % la consommation d'énergie. Cette réduction peut entraîner une augmentation de la marge des restaurants de 5 % à 18 %. Le low-cost est à l'origine d'une forte réduction de consommation énergétique. En cela, il est un acteur de « l'économie verte ». Aujourd'hui, peut-on dire que la logique du low-cost influe d'une manière générale sur la stratégie des entreprises ? Oui, on peut dire que la notion de low-cost a entraîné un nettoyage de l'offre. C'est durant ces périodes que naissent les nouveaux leaders. Le low-cost est donc un défi pour les entreprises.

Quels sont les secteurs qui, à votre avis, vont voir s'accélérer la diffusion du low-cost ?

On constate que cette approche concerne tous les secteurs, dans l'industrie et dans les services (téléphonie, assurance, transports, etc.) mais on peut dire que toutes les activités qui touchent le grand public sont particulièrement concernées. Cela dit, aujourd'hui, les consommateurs sont organisés et, grâce aux réseaux sociaux, donnent leur avis, en particulier lorsque le prix et la qualité ne sont pas au rendez-vous ! Dans le domaine du B to B to C (Business to Business to Consumer), l'avis des consommateurs finaux peut impacter l'activité d'entreprises développant une offre en direction d'autres entreprises (B to B).

Vous dites que le low-cost n'arrive jamais par hasard. Pourquoi ?

Le low-cost naît toujours durant les grandes périodes de crise. Les grandes vagues d'innovations sont du reste toujours marquées par une crise : on invente des solutions qui remplacent celles qui sont dépassées. On sort de la crise par le low-cost. Il y a là une notion de progrès. Avec des produits/services moins chers, les clients retrouvent le niveau de consommation qui était le leur avant leur baisse de revenu. La réduction du prix va de pair avec une augmentation de la performance. Regardons ce qui se passe depuis des années dans le domaine du matériel informatique.

Comment caractériseriez-vous la période que nous vivons actuellement ?

Nous sommes dans une période de destruction créative. La grande vague d'innovations a deux impacts : elle détruit ce qui existait (avec les fermetures d'usines notamment) puis crée de nouvelles activités, de nouvelles entreprises. Aujourd'hui en France, nous ressentons plus la destruction que la création, ce qui explique le faible taux de confiance en l'avenir alors que nous vivons une poussée scientifique et technologique sans précédent.

Quelle sera la prochaine vague d'innovations ?

Aujourd'hui, il y a un décalage historique entre la poussée technique à laquelle nous assistons et l'insatisfaction de la société qui est paroxysmique en France. Ce constat est souligné par l'étude réalisée chaque année par Philips. On parle beaucoup de Big data, Wireless Application Protocol (WAP), puce RFID… En bout de chaîne, les individus ne voient pas le résultat concret de toutes ces avancées. Après la vague low-cost, il y aura la vague « human centric » qui verra la naissance d'innovations radicales de synthèse au service des individus. C'est là que se fera la différence. Dans beaucoup de pays d'ailleurs on ne parle plus d'innovation mais de progrès. Pour l'instant, nous sommes encore dans la promotion de la technologie.

Quels sont les atouts des entrepreneurs français ? Inversement, dans quels domaines doivent-ils progresser ?

La France a de très bonnes références au niveau technique. Il y a d'ailleurs aujourd'hui plus de 40 000 diplômés de l'enseignement français uniquement dans la Silicon Valley ! Mais l'innovation ne se réduit pas à la technique. Historiquement, nous avons en France un problème de relation au marché. La France a connu une telle série de « succès technologiques, échecs commerciaux » que l'expression est laissée en français dans des textes américains ! Nous avons fait de la technologie en oubliant les individus et leurs besoins réels. 80 % des échecs sont dus à une mauvaise analyse des attentes du marché, c'est ce qu'indiquent les résultats d'un séminaire organisé chaque année avec le CEA sur le marketing de l'innovation. Trop d'entrepreneurs se positionnent uniquement sur la technologie créant ainsi de l'innovation de sous systèmes technologiques qui n'ont pas beaucoup d'impact. Il faut penser plus « conception », pour qui ? Pour quoi ? Avoir de l'empathie, mieux connaître ceux pour qui on veut innover, et collaborer avec des professionnels de différents métiers pour trouver des solutions plus centrées sur l'humain.

Quels conseils donneriez-vous aux startupers, aux futures générations d'entrepreneurs ?

Identifiez et connaissez vos futurs clients et partez de leurs rêves, désirs, idéaux, attentes et besoins car la technologie est disponible pour tous. Elle n'est pas différenciante. Ce sont les mêmes conseils que donnait Steve Jobs. Mettre l'homme au centre du projet !

Pour aller plus loin :

L'innovation par le low-cost :les fondamentaux et les composantes du low-cost from MARC GIGET on Vimeo.

Propos recueillis par Catherine Sid en février 2014

Février 2014