Pour une nouvelle Europe entrepreneuriale

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Un think tank, à quoi ça sert ?

Il s'agit de structures légères, opérant aux interstices des différents secteurs de la société, entre le pouvoir politique, le monde universitaire, les médias mais aussi le secteur privé, cherchant à élaborer et promouvoir certains messages et idées. Ces centres de réflexion qui organisent leurs activités autour d'un thème, d'une orientation ou d‘une personnalité politiques, favorisent ainsi le passage d'idées entre des univers trop souvent segmentés, complexes et autocentrés. EuropaNova, que j'ai fondée il y a dix ans avec Enrico Letta notamment, aborde les questions européennes, au-delà des clivages politiques. Son objectif est de promouvoir l'émergence d'une Europe politique, intégrée économiquement et dont le fonctionnement démocratique toujours plus inclusif et efficace soit une source d'inspiration à l'heure d'un nouvel équilibre mondial. Notre intuition de 2003 était que nous entrions dans une période de bouleversement et de crise et qu'il était urgent de faire émerger de nouveaux talents et des idées innovantes.

Afin de stimuler ce renouvellement des hommes et des idées, vous avez justement lancé en 2011 « 40under40 », le premier programme de jeunes leaders européens ?

Ce programme est en effet une nouvelle pierre à la palette d'événements qu'EuropaNova organise, qui emporte de plus un succès incroyable auprès de cette nouvelle génération, tous domaines d'activités confondus, mais aussi auprès de nos partenaires. La Commission européenne ne s'y est pas trompée en nous soutenant. C'est un programme pluridisciplinaire qui rassemble aussi bien des économistes ou des scientifiques de haut vol que les plus brillants entrepreneurs de ce continent ou encore des écrivains. Notre souci est d'engager cette génération de leaders d'opinion dans une dynamique d'invention du futur collectif.

Vous avez récemment souligné qu'aujourd'hui la plupart des enjeux auxquels nous sommes confrontés dépassent le cadre de la nation. Quels sont, selon vous, les principaux leviers sur lesquels l'Europe doit s'appuyer pour favoriser le développement d'entreprises compétitives ?

L'Union européenne peut agir à deux niveaux. Sur initiative de la Commission européenne, l'Union et les pays de la zone Euro en particulier peuvent continuer à renforcer entre eux la coordination économique, budgétaire et fiscale, complétant ainsi l'Union monétaire déjà existante. Cela favorisera l'espace économique commun et limitera les distorsions au sein du même marché intérieur. Les entreprises profiteront d'un tel environnement, fluidifié. D'autre part, les 28 Etats membres se sont récemment dotés d'un cadre financier pluriannuel qui détermine le -maigre- budget de l'Union européenne pour les sept prochaines années. Une partie de ces ressources, encore trop peu importantes, sera cependant utilisée pour favoriser le développement d'entreprises innovantes, encourager les dépenses en matière de recherche et développement, poursuivre la mise en place d'infrastructures à l'échelle du continent et proposer une véritable politique commune énergétique.

« Horizon 2020 », le programme de financement de la recherche et de l'innovation de l'Union européenne a parmi ses objectifs, celui de « renforcer le caractère attractif de l'Europe en promouvant les activités qui sont en phase avec la réalité des entreprises », comment y parvenir ?

Cela fait déjà longtemps que l'Union européenne a mis à l'agenda des Conseils européens ou au sein des programmes de recherche, la question de la compétitivité de nos entreprises et de la mise en place de stratégies d'attractivité, à partir des spécificités nationales qui demeurent encore importantes. Il est nécessaire de poursuivre la réalisation complète du marché intérieur, de continuer à adapter les outils industriels en favorisant la montée en gamme de nos produits, de manière à augmenter la part de la valeur ajoutée dans les produits et services proposés. Mais tout ceci, sans pour autant détricoter les principaux éléments caractéristiques de nos Etats providence. Les initiatives de la Commission comme la mise en place d'un tableau de bord de l'innovation, avec 25 indicateurs permettent également une meilleure compréhension de nos forces et faiblesses.

L'Europe est souvent reconnue pour avoir la meilleure R&D et les meilleures formations, comment expliquer que les entreprises leaders dans le domaine du numérique ne soient pas européennes ?

Je ne suis pas certain qu'il y ait une réponse simple à cette question. Je proposerais d'avancer comme un des éléments explicatifs possibles, le facteur culturel. Ce dernier est lié aussi bien à une moindre prise de risque de nos jeunes ingénieurs européens, qu'à un environnement post-universitaire moins directement connecté aux startups, et dont les possibilités de lever des fonds et des capitaux sont moins aisées. Enfin, le cadre réglementaire est certainement moins souple qu'aux Etats Unis. Mais ne dénigrons pas la situation européenne. Skype, Dailymotion et d'autres pépites sont nées de ce côté de l'Atlantique.

Avez-vous des exemples de « bonnes pratiques » ayant fait leur preuve dans d'autres pays dont la France pourrait s'inspirer pour favoriser l'innovation ?

Dans le rapport élaboré pour le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie que j'ai co-dirigé avec Serge Guillon en mai 2012 « Le nouvel impératif industriel », des exemples de bonnes pratiques suédoises, néerlandaises et américaines sont détaillés. Même dans un pays comme l'Italie, dans une situation de moindre désindustrialisation que la France, l'expérience de la mise en place de 31 parcs scientifiques et technologiques dans certaines régions du Nord de l'Italie avec une structure de gestion locale, favorisant l'incubation d'idées et fournissant des services mutualisés représente un exemple que nous pourrions observer attentivement.

Sur le plan économique et notamment industriel, nombreux sont les observateurs à considérer l'Allemagne comme un modèle, quels aspects pourrions-nous transposer en France ?

La vertu du modèle allemand mais aussi des modèles scandinaves est qu'ils sont beaucoup plus adaptés à un monde hyperconcurrentiel fondé sur l'aptitude à innover de manière continue. Les principes clés sont l'horizontalité, l'esprit de coopération (au sein de l'entreprise mais aussi avec les syndicats, les entreprises partenaires, les centres de recherche, le monde de la formation), la formation continue, mais aussi l'enracinement dans les territoires et la capacité à faire évoluer de manière continue la chaîne de valeur quitte à délocaliser les parties à faible valeur ajoutée mais en les substituant par de nouvelles activités à plus forte valeur ajoutée. Ces principes doivent incontestablement être une source majeure d'inspiration mais leur mise en œuvre doit tenir compte de la réalité culturelle.

La IIIème révolution industrielle a commencé. Quelles sont ses caractéristiques ? Comment les entreprises françaises peuvent-elles être à l'avant-garde de cette révolution ?

Cette IIIème révolution industrielle ne doit pas être perçue comme un retour en arrière, ou penser que le secteur de l'industrie retrouvera une dynamique économique nouvelle, avec des embauches massives. L'idée est d'abord d'être conscient qu'il est toujours plus difficile de distinguer l'industrie des services. D'autre part, dans le cadre de la transition énergétique de nos sociétés, que nous devrions prendre beaucoup plus à bras-le-corps, quelques caractéristiques traduiront cette révolution. Une part plus importante des investissements sera liée aux efforts de recherche et développement, aux matériaux composites utilisés, qui en réduiront le poids ou limiteront la consommation d'énergie, et faciliteront aussi le recyclage. Des produits toujours plus connectés entre eux, une plus grande personnalisation, et d'autres caractéristiques liées au mieux vivre, permettront aux entreprises françaises de jouer crânement leur chance.

Vous avez choisi pour slogan de votre prochaine conférence sur l'avenir de l'Europe « Imaginer le futur », quelle est votre vision de l'entreprise de demain ?

C'est une entreprise au cœur de la société, lieu d'épanouissement individuel et source de richesse collective ! La génération EuropaNova parie sur l'Europe car c'est bien à l'échelle du continent que nos entreprises doivent se développer. La transformation que nous observons de nos économies et de nos sociétés passe par la nécessité de s'impliquer et par une revalorisation de l'esprit d'entreprendre. C'est ce que nous promouvons avec toutes nos initiatives.

Propos recueillis par Vincent Le Brech en octobre 2013

Octobre 2013