La prospective, une démarche pour anticiper au mieux les évolutions de notre société

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Quelles définitions donneriez-vous de la prospective et de la veille prospective ?

La Prospective donne lieu à des définitions variables selon les écoles de pensées mais aussi les traditions nationales. Disons, pour simplifier les choses, que la prospective est avant tout une démarche intellectuelle visant à anticiper au mieux les évolutions de notre société. La prospective n'a évidemment pas la prétention de prédire l'avenir. Car son but est avant tout d'éclairer les choix du présent, ceux que nous faisons aujourd'hui et dont les répercussions sont visibles à moyen ou long terme. Quelle politique énergétique devons-nous par exemple envisager au regard des évolutions démographiques, de l'épuisement des ressources et bien sûr du réchauffement climatique ? Autre exemple : dans un contexte de mondialisation accélérée, dans quels domaines la France, compte tenu de son savoir-faire et de ses potentialités, peut-elle tirer son épingle du jeu dans un horizon de 10 à 20 ans ?La prospective consiste à réaliser des diagnostics, souvent à élaborer des scénarios (tendanciels et alternatifs) et à émettre des recommandations en termes de politiques publiques ou de stratégie d'entreprise.La veille est étroitement liée à la prospective. Elle consiste à chercher et trier l'information la plus pertinente pour nourrir la réflexion prospective. Cette information concerne aussi bien l'évolution de nos modes de vie, les progrès technologiques, les mutations qui sont en œuvre dans les pays émergents… Elle s'intéresse notamment aux faits porteurs d'avenir susceptibles d'entraîner des changements importants à moyen ou long terme.

Quels sont les principaux défis auxquels devront répondre les entreprises, PME et TPE notamment, en France dans les années à venir ? Quels enjeux représentent-ils ?

Les PME et TPE ont un rôle essentiel en France, nous le savons tous. Ce sont elles qui assurent la majorité des créations d'emploi. Ce sont sur elles que reposent également de grands espoirs en matière d'innovation. Leurs défis sont connus pour partie. Il y a bien sûr la question de la compétitivité. Dans un marché mondial ultra concurrentiel, une entreprise peut se démarquer soit par des prix plus bas que la concurrence soit par une valeur ajoutée, un savoir-faire que les autres n'ont pas. Dès lors qu'elles ne peuvent pas baisser indéfiniment les coûts de production, les TPE et PME sont obligées d'innover, de monter en gamme, de proposer des biens et des services que les concurrents de pays à bas coûts ne peuvent fournir. Trop de PME et TPE restent centrées sur notre marché national, l'un des défis majeur me paraît être celui de l'internationalisation. Il y a donc un défi corollaire, celui de la langue. La maîtrise de l'anglais est devenue indispensable. Qu'on le déplore ou que l'on s'en réjouisse, c'est ainsi. On oublie par ailleurs que selon une étude menée en 2011 par l'Observatoire de la petite entreprise, 62% des entrepreneurs interrogés déclaraient ne pas être présents sur Internet. Un gros tiers d'entre eux confiaient même ne jamais utiliser de messagerie électronique ! Il y a donc un retard manifeste à combler dans ce domaine. L'autre grand défi est évidemment celui de la croissance : comment grandir, prospérer pour devenir une entreprise capable d'exporter et d'acquérir une réputation internationale. Nous savons que les succès de l'économie allemande reposent en partie sur le Mittelstand, le créneau des grosses PME qui ont su développer un domaine d'excellence : les feutres Stabilo, les casques audio Sennheiser, les jouets Playmobile, les appareils photo Leica… Les exemples sont innombrables. Nous avons nous aussi des PME d'excellence mais elles ne sont pas assez nombreuses pour être un véritable moteur de croissance à l'exportation.

Quelles sont les mutations technologiques, sociétales et commerciales qui vont avoir des répercussions importantes sur les activités des entreprises ?

Les grandes mutations à venir sont évidemment nombreuses mais on peut en distinguer certaines qui vont avoir un impact important sur l'activité des entreprises.D'abord, l'essor des classes moyennes dans les pays émergents qui représente un marché potentiel considérable. Si demain la Chine compte 4 à 500 millions d'habitants avec un pouvoir d'achat comparable à celui d'un employé français, on imagine ce que cela représente en termes de consommation de biens !Les nanotechnologies et les biotechnologies vont par ailleurs connaître un essor remarquable dans les prochaines années. Cela signifie que de nombreuses applications vont se développer pour mieux se soigner, se loger, se vêtir, se déplacer… avec des produits sans cesse plus innovants. L'essor des nouvelles technologies va donner lieu également à d'importants changements. Je pense en particulier au développement du télétravail qui, en dépit de ses nombreux avantages, occupe aujourd'hui une place modeste en France comparée à d'autres pays européens. Mais n'oublions pas aussi le défi du vieillissement, il est considérable ! La France a beau être moins touchée par le phénomène que ses voisins proches, l'ensemble de la société et les entreprises elles-mêmes doivent tout de même se préparer. Cela signifie de prévoir des structures d'accueil pour les personnes dépendantes mais aussi une offre importante de services et notamment de services à la personne. Pour les entreprises, cela signifie que la place accordée aux seniors ne pourra plus être sacrifiée comme elle l'est aujourd'hui. Les séniors ont une santé et un dynamisme incomparable par rapport aux générations précédentes et leur expérience est précieuse pour l'activité de l'entreprise et pour le passage de relais aux nouvelles générations.

A-t-on identifié des besoins non satisfaits aujourd'hui ou de nouveaux besoins pour les années à venir ?

Le secteur des services à la personne est clairement l'un de ces besoins qui risque de ne pas être satisfait si nous n'anticipons pas suffisamment les choses. Les viviers d'emplois les plus qualifiés concernent en priorité l'informatique, la pharmacie, l'aéronautique. Les secteurs du bâtiment et des transports resteront également de gros employeurs pour faire face à une demande toujours croissante et répondre à de nouvelles exigences : développement des transports en commun, nouvelles normes environnementales, adaptations des logements et des équipements collectifs aux seniors… Mais il ne faut pas oublier non plus que les nombreux départs à la retraite des Baby-boomers vont créer d'importants besoins dans les secteurs « classiques » comme celui de la banque-assurance.

Vous avez publié en janvier dernier une note d'analyse sur "les secteurs créateurs d'emplois à moyen terme" et un rapport sur "les secteurs de la nouvelle croissance : une projection à l'horizon 2030", quels sont les secteurs qui vous semblent les plus porteurs en termes de création d'entreprises à moyen et long terme ?

Beaucoup de variables entrent en jeu : le niveau de croissance, les capacités d'investissement des entreprises, le financement de la sécurité sociale…Mais pour ce qui est des créations d'entreprise à moyen et long termes, les secteurs porteurs sont à la fois très classiques, en particulier la construction, les services à la personne, et bien sûr le conseil et le service à haute valeur ajoutée à destinations des entreprises. Les secteurs porteurs touchent en même temps des domaines où l'innovation joue un rôle clé : la santé, l'environnement, la maîtrise énergétique, l'éducation (songeons au e-learning par exemple), le commerce électronique.

Vous êtes responsable du service veille et prospective du Centre d'analyse stratégique, pouvez-vous en quelques mots définir cette activité ?

Le service de veille et de prospective a une fonction transversale au sein du Centre d'analyse stratégique. Il est en lien avec les 4 départements du Centre et assure un rôle de coordination dans un certain nombre de travaux qui ne peuvent se limiter à un domaine de compétence. A titre d'exemple, nous avons réalisé en début d'année une série de notes sur l'avenir du livre et de la presse à l'heure du numérique. Ce travail a été mené avec le Département Développement durable et le département des questions sociales. Comme pour tous nos travaux, notre rôle est aussi de proposer des mesures ou des pratiques en vue d'améliorer ce qui existe actuellement. L'autre rôle du service est d'animer le réseau des experts en prospective présents dans les ministères. Ce réseau interministériel de veille et de prospective (RIVP) regroupe une vingtaine de membres qui travaillent tous dans un domaine particulier (l'agriculture, les transports, la recherche, l'industrie…). Or, il est important non seulement d'échanger régulièrement des informations sur nos activités mais aussi sur nos méthodes, nos ressources… Par ailleurs, ce réseau rassemble de nombreuses compétences que nous pouvons mettre en commun pour réaliser des travaux qui dépassent les compétences de tel ou tel ministère. Nous avons notamment réalisé l'année dernière une série de fiches thématiques qui se proposent d'analyser les impacts sur la France du basculement de l'économie mondiale vers l'Asie.

De nombreux domaines de la veille & prospective peuvent intéresser les entreprises. Quels sont les champs couverts par le CAS ?

Les champs couverts par le CAS sont nombreux puisque nous comptons 4 départements : Economie et finances, Questions sociales, Travail et emploi et Développement durable.Par développement durable il faut entendre les domaines concernés par l'impératif du développement durable, c'est-à-dire les transports, l'énergie, les technologies du futur et bien sûr les moyens de lutter contre le réchauffement climatique et contre l'épuisement des ressources naturelles. Les champs couverts par les travaux du CAS sont donc nombreux.                                               

Propos recueillis par Catherine Sid en décembre 2012

Décembre 2012