La rémunération du dirigeant : un critère de choix du statut ?

Comment est rémunéré le dirigeant d’une société ?

Le dirigeant est rémunéré au titre du mandat social qu'il occupe dans la société par une rétribution d'un montant fixe et/ou proportionnel.Lorsque le principe d'une rémunération proportionnelle est arrêté, il convient de déterminer le ou les critère(s) comptable(s) sur la base duquel ou desquels la rémunération sera calculée (chiffre d'affaires, valeur ajoutée, excédent brut d'exploitation, bénéfice, etc.).Il est important d'accorder du temps à ce choix, dans la mesure où il est de nature à guider la conduite opérationnelle de l'entreprise, en influençant la motivation du dirigeant. Par exemple, une rémunération indexée uniquement sur le chiffre d'affaires peut inciter le dirigeant à se concentrer sur le volume des ventes en diminuant la marge commerciale de l'entreprise. De même, une rémunération indexée uniquement sur le bénéfice peut décourager le dirigeant dans la mesure où il ne s'agit pas d'un indicateur de performance du cycle d'exploitation.

Qu’en est-il si le dirigeant exerce également des fonctions techniques dans la société ?

Les prestations techniques sont généralement absorbées par les tâches sociales, de sorte que la rémunération allouée au titre du mandat social constitue la contrepartie globale de l’activité du dirigeant. Dans certains cas néanmoins, à condition qu’un lien de subordination entre la société et le dirigeant soit mis en exergue, celui-ci peut établir un contrat de travail avec la société, au titre des fonctions techniques distinctes. L'intérêt de recourir au contrat de travail consiste principalement à permettre au dirigeant de percevoir les allocations chômage en cas de rupture du contrat de travail. Toutefois, le versement des cotisations chômage n'entraîne pas nécessairement droit aux allocations chômage, car Pôle Emploi conserve le droit de remettre en cause la validité du contrat de travail. Il est donc fortement conseillé d'interroger Pôle Emploi sur la validité du contrat de travail afin d'éviter le versement de cotisations sans contrepartie. En toute hypothèse, lorsque le lien de subordination est évident, il est plus prudent d’établir un contrat de travail et mettre en place une double rémunération. En effet, le contrat de travail existant doit nécessairement donner lieu à rémunération, en application de l’ordre public social. Le versement d’une rémunération unique au titre du mandat social pourrait donc, le cas échéant, être remis en cause par les organismes sociaux.

Sur quels critères définit-on qu’il y a ou non lien de subordination ?

Pour l’essentiel, il faut retenir que le lien de subordination est une question de fait qui dépend de l’organisation du pouvoir dans l’entreprise. En effet, le titulaire d’un contrat de travail doit exercer une prestation de travail pour le compte et sous les directives et instructions d’un employeur. L’employeur est nécessairement une personne disposant d’un pouvoir de gestion, de droit ou de fait, dans la société. C’est la raison pour laquelle il n’est, par exemple, pas admis que le dirigeant puisse être considéré comme subordonné aux directives de l'assemblée générale…L’exemple de l’associé minoritaire est topique. Beaucoup de personnes croient qu’en se limitant à un taux de détention de 49 % du capital de la société, elles seront en mesure de démontrer l’existence d’un lien de subordination à l’égard de l’associé qui dispose des 51 % restants. Toutefois, dans l’hypothèse où il n’est pas possible d’établir les directives et instructions de ce dernier, la preuve du lien de subordination ne sera pas rapportée, et le contrat de travail disqualifié en contrat fictif.

Qui fixe sa rémunération ?

Dans la plupart des sociétés, faute de fixation statutaire, c'est l'assemblée générale des associés qui doit fixer la rémunération du dirigeant. Ce dernier ne peut donc pas prendre la décision seul, même s'il est par ailleurs associé majoritaire de la société. Pourtant, il est fréquent de découvrir que la rémunération du gérant, soit n'a jamais été votée, soit fait seulement l'objet d'une ratification en fin d'exercice, en même temps que l'approbation des comptes. De telles pratiques peuvent avoir des conséquences préjudiciables au dirigeant, notamment en présence d'associés minoritaires ou en cas de procédure collective. En effet, à défaut d'être votée préalablement à son versement, la rémunération constitue juridiquement un paiement indu qui, dans certaines circonstances, peut être qualifié d'abus de biens sociaux.

Et s’il s’agit d’un associé unique d’EURL ou SASU ? Doit-il "voter" sa rémunération ?

Oui, de la même manière, l’associé unique doit voter sa rémunération. Celle-ci est inscrite sur un livre obligatoire nommé "registre des décisions". Cela peut paraître une formalité dérisoire voire inutile, puisque le dirigeant peut toujours régulariser la situation en fin d’exercice. Pourtant, j’ai déjà assisté une personne prévenue d’abus de biens sociaux, sur plainte d’un liquidateur judiciaire, dans la mesure où, faute d’avoir voté sa rémunération au préalable, elle s’était créée un important compte courant débiteur dans la société.S’agissant d’une infraction pour laquelle l’élément intentionnel est facilement admis par la justice pénale, je n’ai pas pu éviter la condamnation au remboursement du compte débiteur, accompagné d’une lourde amende.Dans tous les cas, il est donc conseillé de voter une rémunération minimale, qui sera, le cas échéant, ajustée en fin d’exercice pour optimiser la répartition entre rémunération, dividendes et réserves.

Est-il possible pour un dirigeant d’agir bénévolement" ? C'est-à-dire de ne se verser aucune rémunération ?

Tout à fait, la rémunération du mandat social n’est pas obligatoire. Toutefois, il peut arriver qu'un dirigeant ne soit pas payé parce que sa rémunération n'a jamais été votée. Dans ce cas, la jurisprudence permet de contraindre la société au vote d'une rémunération, mais elle ne permet pas de faire fixer le juste montant de cette rémunération par le juge. Par conséquent, la seule voie ouverte au dirigeant insatisfait de sa rémunération réside dans la démission.

Quel est le traitement social et fiscal de la rémunération du dirigeant ? 

Précisons tout d’abord que le régime social et fiscal du dirigeant dépend de la structure juridique choisie. Pour faire simple, les gérants minoritaires ou égalitaires de SARL, les présidents et directeurs généraux de SA, les présidents de SAS sont rattachés au régime général des salariés. Ils sont donc "assimilés à des salariés" au regard de leur protection sociale.Les gérants majoritaires de SARL relèvent quant à eux du régime des non salariés (régime du RSI).Sur le plan fiscal, la différence entre le dirigeant assimilé salarié et le dirigeant non salarié est inexistante, quelque soit le régime d’imposition de la société. S’agissant plus particulièrement de l’impôt sur les sociétés, l'article 62 du Code général des impôts prévoit expressément que les dirigeants non salariés sont soumis au régime fiscal des salariés. C'est donc sur le plan social que les différences se creusent entre les deux statuts, et ce en faveur du statut non salarié. En moyenne, pour un dirigeant non salarié, le coût des cotisations sociales représente environ 30 % de la charge comptabilisée dans l'entreprise, tandis que ce même pourcentage dépasse 40 % pour un dirigeant assimilé salarié.Contrairement aux idées reçues en la matière, l'économie de charges sociales ne se traduit pas par une perte plus grande en prestations maladie, prévoyance ou retraite. En toute hypothèse, le dirigeant non salarié peut donc choisir ou non d'améliorer sa couverture sociale sur des supports d'investissements plus rentables que le système social obligatoire, dont l'avenir est pour le moins incertain.

Plusieurs mesures ont modifié récemment le traitement fiscal et social des gérants majoritaires de SARL. Le régime TNS présente-t-il encore un intérêt aujourd’hui ?

L'époque étant à la suppression des avantages, le législateur a effectivement souhaité apporter quelques modifications au régime TNS. Les deux principales sont les suivantes : - D'une part, la suppression de la déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels pour le calcul du revenu professionnel assujetti aux cotisations sociales. De nombreux auteurs ont souligné le mal-fondé de cette mesure, puisque contrairement à ce qui était avancé par les auteurs de la proposition de réforme, tous les frais professionnels du dirigeant TNS ne sont pas pris en charge par la société. Il en est ainsi des frais de repas personnel ou des frais de déplacement domicile-lieu de travail qui ne sont pas pris en charge par la société, sauf à être considérés comme un avantage en nature venant augmenter la rémunération assujettie, désormais sans aucune possibilité de déduction symétrique.- D'autre part, l'assujettissement des dividendes aux cotisations sociales lorsque le montant versé au dirigeant est supérieure à 10 % du montant total du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant.Cette mesure a suscité beaucoup d'interrogations sur l'intérêt du régime TNS dans la mesure où le choix de ce régime limite sérieusement les possibilités d'optimiser la rémunération du dirigeant par le versement de dividendes.

Cela conduit-il à délaisser la SARL ou profit de la SAS ?

Certains ont effectivement pensé qu'il pourrait être intéressant de procéder à une transformation des SARL en SAS en allouant au dirigeant une rémunération minime, complétée par un versement massif de dividendes. Néanmoins, toutes les études sérieuses permettent de conclure qu'il demeure plus intéressant de conserver le régime TNS plutôt que de choisir le régime assimilé salarié. Afin de limiter les effets de l'assujettissement des dividendes aux cotisations sociales, il est donc nécessaire de procéder à des augmentations de capital ou des apports en comptes-courant. La rentabilité de l'investissement est toutefois très faible, et c'est donc en guise de pis-aller qu'il est conseillé de capitaliser les réserves dont la distribution n'est pas envisagée. Par ailleurs, s’il est possible, tant pour la SARL que pour la SAS, de renoncer à l'impôt sur les sociétés, de façon à reporter les éventuels déficits de la période de démarrage sur les autres revenus du foyer de l'associé-gérant majoritaire, seule une SARL de famille permettra de maintenir cet “avantage” au-delà de cinq exercices.

La rémunération du dirigeant est-elle encore aujourd’hui un critère de choix d’une structure ?

Oui, le traitement fiscal et social de la rémunération du dirigeant est un critère essentiel dans le choix d'une structure. Il est d'autant plus essentiel lorsque le dirigeant est associé de la société. En effet, au choix du régime social s'ajoute le choix du régime fiscal de la société, qui aura des conséquences sur la fiscalité personnelle du dirigeant.

Propos recueillis en octobre 2013 par Laurence Piganeau

 
Novembre 2013