Repetto ou la renaissance d'une étoile

Après avoir dirigé Reebok France, vous décidez de reprendre une entreprise. Pourquoi Repetto ?

J'ai choisi de reprendre Repetto d'abord parce que c'était une marque qui avait une grande notoriété, même lorsque la société allait très mal. Cette marque avait une vraie résonnance. Elle parlait aux femmes. Il faut savoir que beaucoup d'entrepreneurs essaient de créer une marque et n'y arrivent pas, parce que cela coûte très cher. Ensuite, le prix de vente tenait compte de la situation catastrophique de l'entreprise. Il y avait en effet beaucoup de problèmes à gérer, en particulier des dettes très importantes. Cela ne m'a pas arrêté car je pensais que je pouvais faire quelque chose avec cette marque. Repetto n'était d'ailleurs pas à vendre. Elle appartenait à une banque. Je l'ai convaincue de me céder la société !

L'entreprise Repetto a connu un essor spectaculaire depuis le début des années 2000. Sur quoi vous êtes-vous appuyé pour « réinventer » Repetto ?

J'ai commencé par écrire ce que j'appelle « la mission » de la marque. Ce que je voulais en faire. Je l'ai écrite sur une feuille de papier. Cela tenait en 3 lignes. J'ai mis 6 mois pour les écrire ! Pour les mots importants, je n'hésitais pas à consulter le dictionnaire pour être sûr qu'ils voulaient bien dire ce que j'avais en tête. Il y avait, par exemple, le mot « luxe ». En 2000, les marques de luxe avaient toutes un savoir-faire, une exigence de qualité et un territoire d'expression. Pour la marque Vuitton, c'était le voyage. J'ai donc défini ce que serait le territoire de Repetto, la danse attitude. C'était ma lecture du luxe. Depuis, deux nouvelles dimensions sont apparues : une création permanente et une importante communication, avec des budgets incroyables ! A l'époque, les marques de luxe ne dépensaient pas autant d'argent. Elles se contentaient d'avoir de très beaux produits.

Pouvez-vous indiquer quelles étaient ces 3 lignes ?

Oui, je voulais faire une marque mondiale. La France ne représente qu'une très petite part  de l'économie mondiale. Si on veut exister, il faut viser les marchés extérieurs. Ensuite, j'ai voulu une marque qui développe des produits exclusifs et les plus techniques de l'industrie de la danse. Que Repetto soit la référence absolue ! La plus belle marque lorsque l'on pense « danse » ! Enfin, j'ai voulu positionner la marque dans l'univers du luxe. C'était l'objectif à 5 ans. Puis, j'ai défini les différentes étapes pour y arriver avec des objectifs à 4 ans, 3 ans etc.  Chaque étape à franchir pour atteindre chacun des points de la mission a été décrite de façon précise. De quels moyens avions-nous besoin (humains, financiers, …) ? Qui était responsable du projet ? Auprès de qui cette personne faisait son reporting ? etc.

Aujourd'hui, cette mission a-t-elle évolué ?

Non, aujourd'hui elle est toujours la même et l'objectif dans 5 ans, en 2018, est encore le même ! C'est la quête du graal en permanence mais la destination est toujours la même !Aujourd'hui encore, lorsque j'embauche quelqu'un je lui explique ce que je veux faire. Je lui présente la mission de la marque.

Quelle part tient l'intuition dans vos décisions ? Etudiez-vous les tendances, les créneaux porteurs… ?

Je lis beaucoup de choses sur des sujets très différents, je regarde ce qui se passe en dehors de l'industrie qui est la mienne, en dehors de mon monde. Je regarde comment une marque, un produit sort de son territoire. C'est une démarche qui m'intéresse. Au niveau du design, l'électroménager est intéressant par exemple. Je regarde ailleurs et je vois des choses qui peuvent nous inspirer. Et puis, j'observe les consommateurs, les femmes, leurs comportements d'achat par exemple.

Vous menez une politique très importante de renouvellement de l'offre Repetto, inspirée de l'imaginaire de la danse. Ces innovations sont-elles un des ressorts du succès de la marque ?

Oui, pour développer nos ventes, les collections sont renouvelées tous les 2 mois. En 2011, nous avons aussi lancé la personnalisation des chaussures et une collection de sacs. En 2012, nous avons poursuivi notre diversification en démarrant une collection de prêt-à-porter. Cette année, nous lancerons un parfum ! Nous avons un site de production en France. Pour qu'il puisse se développer, le moyen le plus simple est de renouveler constamment les collections. L'organisation de l'usine en cycles courts permet de répondre aux attentes des clientes, en proposant un renouvellement permanent des produits. D'ailleurs, si je voulais que mon usine fonctionne, je ne pouvais pas me battre en suivant les mêmes règles que les usines situées en Asie qui produisent un article en grande quantité et le moins cher possible. J'ai donc joué la partie dans l'autre sens !

Comment est organisée la distribution de vos produits ?

Quand j'ai repris Repetto, il y avait 3 boutiques et presque tout le CA était réalisé en France à travers des points de vente multimarques dont l'entreprise n'avait pas la maîtrise. Aujourd'hui, nous avons 60 boutiques dans le monde et nous contrôlons 75 % de notre CA, à travers nos boutiques bien sûr, notre site e-commerce et les corners que nous gérons dans les grands magasins. Nous lançons dans quelques jours une deuxième boutique éphémère. Aujourd'hui, nous maîtrisons la distribution. Notre situation est beaucoup plus confortable.

Comment voyez-vous l'évolution des entreprises de votre secteur ?

Je suis quasiment sûr que les vainqueurs seront les entreprises qui géreront toute la chaîne, de l'unité de production à la distribution. On ne doit être dépendant ni d'une usine, ni d'un client intermédiaire. On doit aller jusqu'au bout. C'est juste un constat. Tout le monde peut le faire. Mais ma responsabilité est de m'organiser pour anticiper cela, de ne pas subir cette évolution comme une contrainte mais d'en tirer profit.

Quel regard portez-vous sur la responsabilité sociale des entreprises ?

Les dirigeants ont naturellement une responsabilité économique, si on ne gagne pas d'argent on disparaît ! C'est aussi simple que cela. Ensuite, nous avons une responsabilité sociale vis-à-vis des salariés. Chez Repetto, personne ne gagne moins de 27% de plus que le smic. Nous avons également une responsabilité vis-à-vis de notre environnement, je ne parle pas que des arbres… Songeons qu'un jeune sur quatre est au chômage ! Je pense que les consommateurs, les jeunes de moins de 25 ans en particulier, vont finir par boycotter les marques qui pensent juste à faire du profit et qui n'ont pas une attitude sociale. Aujourd'hui, les consommateurs reconnaissent aux marques des valeurs qui ne sont pas juste véhiculées par des pages de publicité. Cela ne suffit plus. Il faut qu'elles aient du sens, un peu plus de substance.

Est-ce que cette responsabilité sociale passe aussi par la production « Made in France » ?

S'il n'y avait pas eu d'usine en France lorsque j'ai repris l'entreprise, je n'en aurais sans doute pas eue. J'aurais pu tout fermer. Mais cette usine était là. Il y avait des salariés. J'avais la responsabilité de la faire fonctionner même si, au départ, j'ai dû me séparer d'un certain nombre de collaborateurs. Je pense, en effet, qu'il est bien de produire en France. Nous pouvons produire ici des chaussures vendues au prix de certaines marques de chaussures de sport réalisées en Chine. L'entreprise se développe. 1500 personnes travaillent autour de Repetto dans le monde aujourd'hui. Comment faire pour transformer cette croissance en emplois ici ? Par ailleurs, la nécessaire maîtrise de toute la chaîne justifie pleinement l'existence de notre usine. Produire en France nous permet, entre autres, d'être plus réactifs et de lisser la production et la trésorerie.

Aujourd'hui, vous pariez sur la formation en ouvrant une école en partenariat avec les collectivités locales. Pourquoi ?

Au départ, j'ai décidé d'ouvrir une école en Dordogne, près de notre atelier, pour former le personnel. Aujourd'hui, il serait dommage de ne pas profiter de cet élan; d'autres personnes pourront être accueillies en formation. Cette initiative, qui crée une dynamique, intéresse naturellement la région Aquitaine. Car il faut faire attention, le savoir-faire est en train de partir par pans entiers. Aujourd'hui, nous démarrons une collection de prêt-à-porter avec des modèles en maille. Or, celle-ci ne peut plus être fabriquée en France. Nous avons dû travailler avec l'Italie. L'industrie du luxe est en péril ! Chez Repetto, la transmission du savoir-faire passe aussi par une organisation qui permet aux seniors, avant de partir à la retraite, de ne plus être en ligne directe sur la production mais de former des jeunes. Demain, il y aura des successeurs potentiels qui pourront prendre la relève. Le jour où je partirai, je serai sûr que le savoir-faire sera dans l'entreprise. Les repreneurs pourront continuer à s'appuyer sur ce patrimoine. Je considère que cela fait aussi partie de ma responsabilité.

Comment favoriser l'entrepreneuriat en France ?

Il y a une culture qui n'est pas propice à l'entrepreneuriat. A l'école, on ne parle pas assez du monde de l'entreprise qui est pourtant un monde extra ! L'entrepreneur est méconnu. Il a encore l'image de quelqu'un qui ne pense qu'au profit. Enfin, l'échec est stigmatisé alors que dans certains pays comme aux Etats-Unis il n'a pas cette image négative. L'important est d'apprendre.

Faut-il avoir LA bonne idée pour se lancer ?

Non, cela n'existe pas. Si on attend d'avoir trouvé la bonne idée de génie, on ne le fera pas. C'est comme le bon moment. Ce n'est jamais le bon moment. Il faut juste regarder ce qui est porteur, ce qui peut être là demain, bien faire les choses, essayer d'être différent des autres, s'engager à fond et travailler !

etoile.gif En 2012 et 2013, Repetto a collectionné les récompenses :- Prix de la Stratégie d'entreprise pour la catégorie «Croissance» 2012- Prix de l'Innovation Ernst & Young: 2012- Prix de Entrepreneur 2012 - BFM AWARDS - Prix d'honneur Procos 2013- Trophée Responsabilité Sociale de l'Entreprise, DAF Magazine remis à Hélène Franco, directrice financière de Repetto- Prix W3 Awards  meilleures créations digitales, pour le nouveau site Repetto

J-M Gaucher Repetto - point de vente
Jean Marc Gaucher (crédit photo N. Jouan)  

Propos recueillis par Catherine Sid en février 2013

Février 2013