Se lancer dans un domaine « tabou » : le défi de Virgile Delporte

  • Temps de lecture: min

Pouvez-vous nous dire pourquoi, il y a deux ans, vous décidez de créer une entreprise dans un domaine très différent de celui qui était le vôtre ?

La veille d'un départ pour un trek avec mon épouse, nous avons voulu protéger nos enfants, qui restaient en France, ainsi que notre patrimoine et nous avons rédigé un testament. De retour dans la capitale, un notaire nous a expliqué que notre écrit n'avait aucune valeur juridique. Je me suis aperçu qu'il n'y avait pas de ressources, sur internet, sur ce sujet et aucun service permettant de préparer un testament en toute sécurité. En tant qu'entrepreneur, cela a été un déclic.

Pourquoi vous être concentré sur cette question du testament ?

Il y a de nombreux cas de figure pour le rédiger à cause de nos situations sociales, familles recomposées, enfants de lits différents, Pacs, concubinage, etc. La majorité des successions se passent aujourd'hui sans testament et peu de personnes songent à consulter un notaire à ce propos. Il fallait une solution simple et pratique pour promouvoir ce formidable outil auprès d'une population la plus large possible, notamment celle qui ne souhaite pas se rendre chez un notaire.

Aborder la question de la mort, n'est-ce pas un de nos derniers tabous ?

Le Salon de la mort de 2011 n'a pas été reproduit, mais il avait eu le mérite de créer une dynamique autour de cette question. Le site Allo le Ciel, du reste, a été créé fin 2011 et il est un des leaders en termes d'audience sur ce sujet. 

Nous y reviendrons puisque vous venez de racheter ce site. Comment Testamento.fr est-il né ?

Avec un ami dans la finance et mon frère, ingénieur vivant aux USA où le concept existe déjà, nous nous sommes lancés en nous entourant des conseils de notaires et d'avocats spécialisés pour légitimer notre démarche. Notre idée était de concevoir des logiciels permettant de générer des modèles de testament adaptés à chacun.

Nous voulions aussi changer le regard sur le testament, que cela devienne un outil bénéfique. Notre crédo : que Testamento.fr devienne le site de référence sur le testament et la succession. Concrètement, nous avons créé une société avec des fonds propres et avons été par la suite soutenus par différents organismes publics.

Comment avez-vous été aidés dans la réalisation de ce projet ?

Nous avons été admis dans un incubateur,Telecom Sud Paris, qui nous a accompagnés à partir de mai 2013. L'incubateur nous a permis de mettre en place un comité stratégique. Nous y sommes restés un peu plus de deux ans. Durant cette période, nous avons rencontré de nombreux entrepreneurs et investisseurs. Le réseau Entreprendre a cru en notre projet et nous a accordé un accompagnement et un prêt d'honneur, ainsi que la Fondation Telecom qui nous a apporté un prêt d'honneur supplémentaire. Nous avons également obtenu le label French Tech et reçu une subvention de la Banque publique d'investissement. Depuis presque un mois, nous sommes sortis de l'incubateur et avons déménagé à Gentilly, dans la cité des Artistes, sorte d'écosystème de start-ups. Tout ceci nous est très bénéfique, car aux locaux s'ajoutent les interactions avec d'autres chefs d'entreprise, notre motivation est ainsi décuplée.

Quelle stratégie avez-vous mise en place pour vous faire connaitre ?

La communication autour du site se fait sur internet, grâce au référencement, et par le bouche à oreille. Nous proposons un modèle freemium pour faire découvrir gratuitement nos services, en l'occurrence avec un Kit info succession qui permet de comprendre en quelques clics qui sont ses héritiers, la fiscalité de la succession et l'intérêt d'un testament. Nous avons également développé des partenariats, par exemple avec le groupe Funécap et sa marque Roc Eclerc, et nous avons une agence de presse.

Comment financez-vous votre projet ?

Comme souvent lors d'une création, nos investissements et nos retombées financières, liées à la vente de nos modèles de testament, sont utilisés pour rémunérer nos salariés et investir à nouveau. Nos investissements portent sur le développement du site mais surtout sur celui de différents logiciels SaaS. Cette année, nous avons réussi une première levée de fonds de 342 000 euros auprès de Business Angels qui soutiennent notre projet, dont une partie faite en crowdfunding auprès de la plateforme Sowefund. L'objectif est de développer Testamento pour offrir de nouveaux services, par exemple la désignation d'un tuteur pour un enfant mineur en cas de décès des parents, ou la solution de faire des legs à une association depuis notre site. Nous proposons aussi les licences de nos logiciels à des partenaires comme les notaires, les compagnies d'assurance, ou encore les pompes funèbres.

Cherchez-vous également à sensibiliser davantage à votre activité, comme par le rachat d'Allo le Ciel ?

Allo le Ciel est un site généraliste devenu incontournable sur le sujet de la fin de vie : avant, pendant et après la mort. C'est un site média avec une très bonne audience (5 000 à 10 000 visiteurs par jour). Nous avons racheté le fonds de commerce et nous voulons bien sûr le développer.

Comment faites-vous pour tout mener de front : un site media et des logiciels à developper ?

Notre équipe s'est renforcée et nous sommes neuf à présent : trois personnes s'occupent du marketing, trois du développement informatique. Nous avons aussi un juriste et un responsable des partenariats. Et l'équipe va continuer à croître rapidement. De mon côté, en tant que chef d'orchestre, j'ai la charge de gérer l'ensemble avec une vision commerciale. Avoir une équipe diverse et complémentaire est une exigence, car en conservant les deux sites, les synergies et les rapprochements sont inévitables. Nous sommes tous passionnés par notre sujet, l'équipe est très soudée, s'investit pleinement et affronte le quotidien avec ardeur et enthousiasme.

Quels sont vos projets et perspectives de développement ?

Actuellement, nous sommes dans une phase de forte accélération, nous créons des partenariats et développons l'écosystème autour de la prévoyance en France. Nous comptons exporter notre service en Europe, car les opportunités existent. Nous allons également développer les contenus sur Allo le Ciel, dont le site vient du reste de passer sur mobile et de recevoir une importante mise à jour du design. Le but n'est pas tant de parler de la mort que de donner de l'importance à la vie, surtout en cette période de deuil. La mort a une place dans notre société car il y a une vie avant elle. Mieux préparer sa mort en vivant mieux, c'est cela que nous essayons de transmettre !

Propos recueillis par Elizabeth Vinay en décembre 2015

Janvier 2016