Quels sont les tendances actuelles et de demain en matière d'innovation ?
L'innovation s'organise souvent autour de "marronniers". Aujourd'hui, ce sont les objets connectés, la robotique et l'intelligence artificielle, les drones, l'impression 3D, les applications de la blockchain - qui va plus loin que l'économie collaborative sur le plan idéologique - et aussi la réalité augmentée. Sans parler des "foodtechs" et des "civictechs" !
La santé est un domaine particulièrement florissant avec l'association des sciences du vivant et des technologies numériques, du croisement du big data et de la santé. Ce secteur est en pleine évolution et suscite beaucoup d'espoirs tant d'un point de vue économique que pour l'amélioration de notre santé à tous et la prolongation de la durée de la vie.Un autre enjeu d'avenir est celui du captage de l'énergie solaire. Les batteries posent actuellement problème mais il y a de nombreux travaux scientifiques visant à améliorer leur capacité de stockage et cela représente beaucoup d'opportunités pour les entrepreneurs.Je pense enfin à la voiture automatisée, véritable assemblage d'innovations technologiques (en termes de caméras, matériaux, capteurs, logiciels…) qui promet de grands changements économiques et sociétaux.
Qu'est-ce qu'une innovation de rupture ? Dans quelles conditions apparait-elle ?
Une innovation de rupture "disrupte" souvent plusieurs métiers et chaînes de valeur. Elle provoque une migration de valeur d'une industrie à l'autre, en plus de changer les usages et la société.Les facteurs générateurs des innovations de rupture sont :- une insatisfaction client très élevée, même si elle n'est que latente,- un besoin homogène dans le monde,- l'usage de vagues technologiques qui se démocratisent comme les smartphones,- un bon financement.
Prenons comme exemple celui de l'entreprise américaine Uber. Celle-ci a rencontré un très grand succès aux Etats-Unis avec sa plateforme de mise en relation entre des chauffeurs de VTC et des particuliers, avant de connaître une immense success story à l'échelle mondiale. Avec au départ, une forte insatisfaction des utilisateurs de taxis !
Est-ce que les startups ont vocation à devenir des monopoles ?
Oui, en ce qui concerne les startups du numérique. Avec des coûts fixes faibles, de grandes économies d'échelle et avec des effets de plateforme, elles disposent les ingrédients pour construire un monopole ou un duopole dans leur domaine. Le meilleur exemple actuel est incarné par Facebook et Twitter qui se complètent bien. Autres exemples : Apple et Google, qui dominent les plateformes mobiles, AirBnb, dans le partage locatif, Booking dans la réservation d'hôtels, etc.
Quels sont, selon vous, les secteurs qui ont le plus besoin d'innovation ?
Tous en ont potentiellement besoin, les boulangers comme les constructeurs automobiles. Mais il est vrai que les activités de proximité sont moins exposées au risque de "disruption".
Beaucoup d'activités peuvent être réalisées à distance et les services peuvent être sous-traités. Par exemple, la conception et la maintenance de logiciels est devenue une spécialité des ingénieurs indiens.
Les métiers reposant sur un savoir-faire spécifique comme les experts-comptables ne sont pas préservés. Leur risque de se faire "ubériser" est élevé, soit par l'automatisation soit par l'intermédiation. La solution consiste à numériser soi-même son métier, et d'organiser son intermédiation avant qu'une startup ne lance à sa place une plateforme en prenant une commission de 20 % auprès des utilisateurs.
Le discours ambiant sur la nécessité de lever des fonds pour les startups ne s'éloigne-t-il pas des fondamentaux de la conduite d'une entreprise ?
Il ne faut pas opposer levée de fonds et logique entrepreneuriale. Une levée de fonds est la conséquence d'une ambition. Il faut beaucoup de moyens financiers pour faire l'acquisition de clients et proposer un bon produit. Les startups ne peuvent pas se contenter d'un financement traditionnel d'autant plus que les banques ne les suivent pas car le risque d'échec est élevé.
Les levées de fonds ont lieu essentiellement en France mais il est nécessaire d'aller à l'étranger, notamment aux Etats-Unis, où le volume des investissements en capital-risque (alimenté notamment par les fonds de pension) est cinq fois supérieur à celui du capital-risque européen. L'idée est donc de partir aux Etats-Unis et de revenir ensuite en Europe, pour peut-être y réussir… mais il y a peu d'élus.
Si une entreprise ne réalise pas de levée de fonds alors il y a peu de chances que ce soit une véritable startup capable de générer une très forte croissance !
On parle des objets connectés mais peu de personnes évoquent leur recyclage. On peut imaginer qu'une fois passés de mode, ils risquent de finir dans nos placards, dans nos décharges ou dans la nature alors que les ressources planétaires sont limitées.
Le recyclage ne sera pas assuré par les créateurs de ces objets. Parmi les ingénieurs qui les conçoivent, certains sont plus sensibles que d'autres aux problématiques d'environnement et d'éthique. Par exemple, certains prennent soin de ne pas s'approvisionner en composants provenant de pays en guerre. Mais la principale préoccupation des ingénieurs reste de fabriquer un produit qui fonctionne et ensuite, qui peut éventuellement être recyclé. Les entrepreneurs de ce secteur doivent aussi se soucier de la sécurité et éviter que leurs objets deviennent des chevaux de Troie pour les pirates informatiques.
Peut-on créer une entreprise innovante n'importe où ?
S'agissant des startups du numérique pur, oui du moment que l'accès au haut voire au très haut débit est garanti. C'est moins évident pour les startups porteuses d'une innovation matérielle. Dans ce cas, il faut être proche de ses clients, de ses financeurs, des voies de transport et de la supply chain logistique.
On peut habiter dans un endroit isolé mais il faut être mobile et ouvert, aller défendre son produit à Paris et à l'étranger. C'est ce qu'a fait Sigfox implanté à Labège, près de Toulouse mais présent maintenant dans des dizaines de pays, tout comme Blablacar.
Quels sont les conditions économiques et sociales favorables à l'innovation ?
La difficulté est d'avoir accès à des personnes qualifiées ayant reçu une formation supérieure dans la mesure du possible, même si des talents brillants n'y sont pas passés. Il faut également du financement, un marché intérieur présentant une taille suffisante et des équipes talentueuses dans le marketing et le business.
La Silicon valley bénéficie de tous ces fondamentaux avec en plus une culture entrepreneuriale, une réglementation favorable et des charges pas trop élevées. La démocratie et la liberté sont également des facteurs d'innovation essentiels. Peu de startups émergent dans les pays avec des régimes autoritaires et quel que soit leur niveau de vie.
Quels sont les principaux conseils que vous donneriez à un porteur de projet qui souhaite créer une entreprise innovante ?
Il faut être radicalement meilleur (proposer un gain de temps, d'argent, de plaisir) pour se distinguer et il faut de bons financements. La méthode du "me too" (la stratégie du suiveur en marketing) peut fonctionner à condition d'être bien financée.
L'inventeur n'est pas un innovateur car le premier ne crée pas de la richesse. L'innovateur est celui qui se saisit de l'invention et qui en fait un succès commercial : c'est un entrepreneur.
Les startups à succès sont celles qui associent des profils divers. Il est rare de voir une startup réussir avec un seul fondateur. Il faut généralement être au moins deux : une personne plus technique et une autre plus business.
Propos recueillis en novembre 2016 par Céline Arsac et Florence Pierre
Les articles et ouvrages d'Olivier Ezratty sont disponibles en ligne gratuitement sur son blog Opinions libres. * Le guide des Startups Hightech en France, ouvrage collaboratif édité et mis à jour régulièrement depuis 10 ans, et dont le téléchargement est gratuit. L'édition 2016 fait 394 pages et déjà été téléchargée 21 400 fois. * Le rapport du CES de Las Vegas
Novembre 2016