Une ''success story'' à la française

Vous avez fondé Medtech en 2002, pourquoi vous êtes-vous lancé dans l'aventure entrepreneuriale ?

Dans mon cas, l'envie et le choix d'entreprendre est intimement lié à la découverte de la robotique mini-invasive , durant mes études d'ingénieur. C'est en prenant part à la conception d'un logiciel en mesure de détecter automatiquement des lésions crâniennes à partir de scanners que ma curiosité pour le secteur de la chirurgie s'est affirmée. Les perspectives de développement exceptionnelles de ces techniques à travers le monde m'ont alors interpellé. J'ai donc en premier lieu multiplié les expériences professionnelles, pendant près de dix ans, auprès des meilleurs chirurgiens, au sein de grands groupes de robotique chirurgicale. Ce n'est qu'une fois cette connaissance du terrain acquise que j'ai décidé d'entreprendre, convaincu du potentiel de croissance des sociétés faisant le choix de la chirurgie mini-invasive.

Pouvez-vous nous dire en quoi la robotique peut être un vecteur de compétitivité pour nos entreprises et notamment nos petites entreprises ?

La robotique, de manière globale, est aujourd'hui reconnue comme la prochaine grande révolution industrielle. Les chiffres sont là : un marché de la robotique de service estimé à 100 milliards d'euros en 2020 par la Commission européenne, quelques dizaines de milliers d'emplois créés à l'horizon de cinq à dix ans d'après le Pôle interministériel de prospective et d'anticipation des mutations économiques (Pipame), etc. La robotique médicale constitue également un marché très important et répond à une attente forte de la part des professionnels de santé et des patients. Il est aujourd'hui évident que les prochaines années seront marquées par le fort développement de la robotique, en particulier en France, qui est d'ores et déjà reconnue comme un acteur essentiel de ce marché. En effet, notre pays dispose d'excellents ingénieurs, d'intégrateurs de haut niveau, de startups innovantes… autant d'éléments forts qui font de la robotique un choix plus qu'intéressant pour les entrepreneurs.

La filière robotique française compte à ce jour principalement des startups, comment favoriser l'émergence de leaders mondiaux « Made in France » dans ce domaine ?

Vous soulevez ici un point très important. Il est vrai que l'ensemble des atouts différenciants dont nous disposons ne suffisent pas. Pour s'imposer durablement dans cette course au leadership, dans laquelle Américains, Japonais et Sud-coréens sont très bien placés, nous avons besoin d'une véritable dynamique d'innovation, de transformer l'essai. Trop souvent, les nombreuses inventions qui naissent en France grandissent à l'étranger, rachetées par de grandes entreprises. Nous continuons de passer à côté de la création d'emplois et de valeur qui découle de ces innovations ! Il est essentiel que l'Etat et ses partenaires se donnent les moyens concrets de la préservation des inventions françaises. Cela passe par la promotion active de l'achat innovant, par la simplification des procédures de marchés publics pour les PME et les TPE et, avant même ces initiatives qui commencent aujourd'hui à prendre forme, par la diffusion de la confiance, formidable moteur de réussite !

Vous êtes parvenu à commercialiser « Rosa » dans une vingtaine d'établissements hospitaliers, qu'est-ce qu'un entrepreneur doit avoir à l'esprit lorsqu'il veut développer son activité à l'international ?

Notre technologie dédiée à la neurochirurgie, ROSA™ Brain, est aujourd'hui présente dans une vingtaine de pays, en France, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Russie, en Arabie saoudite, etc. ROSA™ Spine, dédiée aux procédures chirurgicales sur le rachis, est en attente d'homologation, pour une commercialisation devant débuter fin 2014. Pour répondre à votre question, il me semble que l'essentiel, pour un entrepreneur souhaitant se déployer à l'international, c'est d'avoir une connaissance très forte de l'écosystème de son activité dans les pays qui l'intéressent. Pour ma part, c'est après plusieurs années d'expérience aux Etats-Unis que j'ai décidé de créer ma société, et de l'implanter en Languedoc-Roussillon. De manière générale, la recherche de développement international nécessite la plupart du temps une remise en question, une réflexion profonde sur son offre, sur ses produits, une analyse approfondie des moyens et des ressources indispensables au déploiement de ce projet, etc. Au-delà de ces éléments, le facteur humain est bien évidemment essentiel : un management fort et des réseaux commerciaux de confiance représentent des conditions sine qua non à un développement international réussi.

Un des enjeux cruciaux en matière de robotique est le transfert de technologies entre laboratoires de recherche et entreprises, quelle est votre « recette » afin que nous soyons capables de mieux vendre nos inventions ?

Il s'agit d'un élément essentiel, d'autant plus que nous disposons d'excellents chercheurs et ingénieurs en matière de robotisation. Cette question ne se pose pas comme telle chez Medtech, puisque nous internalisons la recherche et développement. Quoi qu'il en soit, et cela vaut pour les entreprises de robotique mais aussi pour l'ensemble de nos technologies, je pense qu'il faut, dès le stade de la recherche, inciter les chercheurs à déployer des applications industrielles à partir de leurs résultats. Par la suite, il me semble important de permettre aux petites et moyennes entreprises de pouvoir acquérir une technologie développée par un laboratoire public. C'est à ces conditions que nous pourrons fusionner nos forces pour mieux innover.

L'une des mesures du plan gouvernemental intitulé « France Robots Initiatives » est le projet « Start PME » qui vise à accompagner les PME-PMI dans leur premier projet de robotisation, quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de votre première expérience en la matière ?

On en revient au manque de soutien concret à l'innovation… Ma première expérience en matière d'entrepreneuriat en robotique remonte à la conception d'une technologie mini-invasive dans la pose de prothèse du genou. Nous avons à l'époque reçu une subvention d'Oséo Languedoc-Roussillon, qui nous a grandement aidés. Mais, en 2006, Medtech a dû vendre ses brevets au leader américain en robotique orthopédique. A cette époque, les acteurs institutionnels français n'ont pas su accompagner le développement de notre technologie, pourtant considérée comme une pépite à l'étranger.

Selon l'Académie des Technologies, le secteur de la santé devrait représenter de 15 à 20% de notre richesse nationale en 2030 (contre 11 à 12% aujourd'hui), comment soigner mieux une population de plus en plus nombreuse et âgée ?

En inventant de nouvelles solutions industrielles ! C'est ce que nous travaillons à faire, au quotidien, chez Medtech. Globalement, les maladies cérébrales affectent d'ores et déjà environ un milliard de personnes dans le monde et ce chiffre est en passe d'augmenter avec l'augmentation de l'espérance de vie. Ainsi, le nombre d'individus atteints de démence devrait doubler d'ici à 2030. Il en va de même pour les pathologies du rachis, qui peuvent faire l'objet d'environ 1,5 million de chirurgies par an. Dans ce contexte, le traitement des troubles neurologiques et liés à la colonne vertébrale représente un défi de santé publique grandissant. Ces évolutions rendent urgente l'adaptation des services de neurochirurgie du monde entier, qui vont faire face à un afflux de patients avec des exigences croissantes en matière de soins. Ce besoin, ainsi que les restrictions budgétaires qui touchent la plupart des établissements médicaux, les poussent à rechercher des solutions pour améliorer leur gestion du temps et leur maîtrise des coûts. Il existe des solutions, et la robotisation des blocs opératoires en fait partie. Pour simple exemple, notre technologie ROSA™ Brain, en diminuant les séquelles post-opératoires, en modérant le risque infectieux, en réduisant la durée d'hospitalisation, en limitant les complications, permet à la fois un gain de temps élevé et une optimisation des dépenses. Par ailleurs, nos robots permettent de couvrir une très large part des indications en neurochirurgie et en chirurgie du rachis et représentent donc un investissement rentable pour les établissements hospitaliers. D'autres solutions en matière de e-santé existent, tels que le dossier médical personnalisé, des applications smartphones intelligentes, la téléconsultation par visioconférence, la téléradiologie, etc. L'hôpital et les professionnels de santé ont un rôle certain à jouer dans la diffusion de l'innovation.

L'essor de ces nouveaux services médicaux pose aussi la question de leur démocratisation, comment parvenir à généraliser leur usage ?

Il y a un travail de pédagogie à engager auprès des professionnels de santé et des patients. D'ailleurs, chez Medtech, nous proposons un accompagnement rapproché des chirurgiens qui font le choix d'utiliser nos technologies. Il est essentiel d'assurer une sorte de « service après-vente » de nos innovations, afin que les usages s'ancrent et se généralisent.

L'une des craintes parfois évoquées lorsque l'on parle de robotique est que la machine prenne le pas sur l'homme, que préconisez-vous afin de surmonter ce clivage ?

Il s'agit d'un fantasme présent dans l'inconscient collectif depuis des décennies, et alimenté par quelques chefs d'œuvre de la littérature et du cinéma. Nous en sommes encore très, très loin ! Aujourd'hui, la robotique est fabriquée par l'homme, choisie par l'homme, commandée par l'homme. Cela vaut tout particulièrement pour nos robots ROSA™. Ils viennent assister les professionnels de santé, en guidant et en sécurisant leurs gestes. Mais les chirurgiens demeurent les maîtres du jeu. La robotique est résolument humaine. Quoi qu'il en soit, c'est véritablement la démocratisation de ces technologies qui, peu à peu, dissipera cette crainte. Propos recueillis par Vincent Le Brech en novembre 2013
Décembre 2013