Quelle recommandation feriez-vous à un créateur qui souhaite se lancer dans un marché hyper-concurrentiel ?
Même si votre marché est hyper concurrentiel - ce qui est le cas pour la livraison de repas de midi dans les entreprises - le plus important est d’identifier un réel besoin.
En ce qui me concerne, je travaillais au sein d'EuraTechnologies, en périphérie de Lille, et l'offre en matière de restauration était vraiment limitée. J'ai vite compris que cette frustration était partagée par d'autres occupants de l'incubateur lillois. A cela de ce constat, s'est ajouté le fait que "la food" était en 2013 considérée comme le prochain eldorado sur Internet.
Dejbox est votre première expérience entrepreneuriale ?
Non, avant le lancement de Dejbox en 2014, j’avais déjà goûté à l'entrepreneuriat en créant une startup proposant de la publicité géolocalisée à des commerçants. Après trois ans de développement et trois ans de RSA, cela s'est traduit par un échec. Il y avait en effet trop peu de technophiles dans ma cible de commerçants.
Mais j'avais 24 ans et cette expérience m'a beaucoup appris. Il n'était plus question de rater une autre aventure entrepreneuriale !
Comment avez-vous réussi à pénétrer ce marché très concurrentiel ?
Il ne faisait aucun doute que la demande de livraisons de repas était réelle. Cependant, nous devions trouver une niche pour assurer le succès d'une nouvelle startup dans ce marché en plein essor mais déjà bien encombré.
Cette niche fut la livraison de repas aux salariés dans des zones périurbaines comme EuraTechnologies. Car il n'était pas question pour nous de nous engager dans une concurrence féroce avec les sociétés déjà implantées dans les centres villes, qui livrent n'importe où, n'importe comment, à coup de prix écrasés et avec des livreurs non-salariés et exploités. Nous voulions organiser la demande au lieu de la subir.
Dans ces zones périurbaines, riches en TPE et PME, seuls 10 % des salariés ont accès à un service de restauration sur site. En outre, les cantines ne sont plus au goût du jour et les Millennials veulent davantage de diversité dans l'offre. L'idée, sous-tendue par une volonté de rentabilité, de croissance, de pérennité des emplois créés et fondée sur une éthique sociale et environnementale, a ainsi progressivement pris forme. Il nous fallait alors définir un fonctionnement adéquat...
Votre business model est-il stable aujourd’hui ?
Comme de nombreuses startups, nous avons mis un peu de temps à le trouver. Nous avions réfléchi à produire nous-mêmes nos plats, mais nous avons vite abandonné cette idée en préférant faire appel à des spécialistes, rompus à cet exercice délicat en termes d'approvisionnement et de réalisation : des sociétés de restauration mais aussi des restaurants locaux, tous triés sur le volet.
Pour eux, comme pour nous, c'est "gagnant-gagnant" ! Ils profitent d'une nouvelle source de revenus et nous bénéficions de leur notoriété.
Nous avons enfin trouvé le bon business model. J'ai coutume de dire que notre seule concurrence, c'est la "gamelle" préparée chez eux, qu'apportent certains salariés. Dejbox est une cantine digitale. L'exploitation des données est au cœur du modèle économique. L'analyse des données sur les goûts des clients, mais aussi la météo, par exemple, permettent de prévoir le type de repas qui sera commandé. C'est un avantage pour les fournisseurs, qui peuvent ainsi mieux s'organiser. Mise au service de la logistique, cette exploitation rend possible la livraison groupée dans les sociétés.
Comment fonctionne votre concept ?
Chaque lundi, avec nos fournisseurs, nous mettons au point plusieurs menus - soit environ 20 possibilités de plats, desserts et boissons - disponibles à la commande sur notre site. Les salariés passent leurs commandes dans la matinée et Dejbox s'engage à livrer (gratuitement) à l'accueil de la société basée dans une zone périurbaine, des repas dont le prix se cale sur le montant moyen du ticket restaurant. Le tout à un horaire défini, avec une marge de 20 minutes.
Votre modèle est rentable ?
Le bouche à oreille parmi les salariés d'une même entreprise vaut toutes les publicités du monde et le fait que le livreur, toujours le même, vienne sur place, participe également au succès du dispositif et à la fidélisation des clients. C'est donc bien le choix du lieu (concentré), et les volumes (élevés) qui permettent de rentabiliser l'effort de livraison et d'offrir le service gratuitement aux clients. Je regrette seulement qu'aucun camion frigorifique électrique sur le marché n'ait pour l'instant une charge suffisante.
Quelle est la politique salariale de Dejbox ?
Nos 150 préparateurs/livreurs, qui sont tous salariés, livrent chacun environ 120 repas par jour. Des repas emballés dans du carton plutôt que du plastique. Les rares invendus sont donnés à des associations caritatives.
Chez Dejbox, en salariant les livreurs, nous leur proposons une vraie carrière. Une vingtaine ont déjà évolué dans l'entreprise et l'un d'entre eux - préparateur/livreur il y a deux ans - est aujourd'hui responsable d'exploitation dans l'une de nos implantations. Autant dire que Dejbox n'a pas à faire face à l'énorme turnover que connaissent les autres sociétés du secteur !
Vous pensez à l'export ?
Oui, mais notre priorité est de devenir leader sur le marché français. Aujourd'hui, Dejbox livre 14 500 repas par jour, compte 280 salariés, est présente dans 6 villes (Lille, Lyon, Paris, Bordeaux, Nantes et Grenoble), avec un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros pour 2019.
La société a commencé "avec des bouts de ficelle" et elle a vite séduit les clients, mais aussi les investisseurs. Nous avons en effet réalisé deux levées de fonds en 2015 et 2017 pour un total de 2,5 millions d'euros auprès de Partech et Leap Ventures.
Nous avons montré que notre business model est rentable et scalable ! Nous voulons désormais accélérer notre maillage territorial et avoir une dizaine d'implantations supplémentaires en 2020.
Une fois que nous serons leader chez nous, nous nous implanterons dans d'autres pays. Plusieurs villes européennes sont déjà à l'étude...
Propos recueillis en novembre 2019 par Jean-Michel Ly