
« Après avoir conquis le quotidien des Français, nos startups doivent maintenant pouvoir être connues, reconnues et utilisées par les administrations publiques et par toutes les entreprises françaises », affirmait en juin 2023 Jean-Noël Barrot, alors ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications à l’occasion du salon Vivatech.
Sur le papier, si chacune des deux parties – start-up et grand groupe - semble enthousiaste à l’idée de collaborer avec l'autre, dans la pratique, le résultat est parfois en demi-teinte. C’est en tout cas ce que révèle l’étude « Grandes entreprises et startups : transformer le choc culturel en alliances stratégiques durables » menée par le cabinet d’audit Forvis Mazars en mai 2025. Parmi les blocages structurels relevés on retrouve des temporalités incompatibles, des fractures culturelles ou encore une méfiance réciproque.
Alors pour éviter toute déconvenue dans une future collaboration, découvrez les conseils de Christophe Garonne, professeur d'entrepreneuriat et directeur académique de Kedge Entrepreneurship.
Interview Question/Réponse
Bpifrance Création : Selon vous, qu’est-ce qui pousse les startups à se rapprocher de grands groupes ?
Christophe Garonne : Plusieurs raisons poussent une start-up à se rapprocher d’un grand groupe. D’abord, parce qu’elle a besoin de légitimité. Travailler avec un grand groupe, surtout quand on vient de se lancer, permet d’avoir des références qui rassureront de futurs clients du même type. Le deuxième point, c’est que cela permet de tester sa solution grandeur nature et de l’améliorer si besoin en fonction des retours clients et des résultats. Ensuite, travailler avec un grand groupe permet à la start-up de s’assurer une solvabilité puisqu’avec ce type d’entreprise, il y a rarement des problèmes d’impayé. Il arrive même que certains octroient des enveloppes supplémentaires afin d’améliorer ou faire évoluer des solutions propres à leurs objectifs.
Bpifrance Création : Quels sont les modèles de collaboration qui fonctionnent le mieux ? (Parrainage, pitching inversé, mentorat, accélérateurs/incubateurs, etc.)
CG : Ils fonctionnent tous à des degrés divers. Cela dépend de la maturité de la start-up ou du projet.
Bpifrance Création : Quels enseignements tirent-elles de ce genre de collaboration ?
CG : Paradoxalement, les meilleurs enseignements que les startups retirent de ce genre de collaboration, c’est lorsqu’elles ne se font pas !
Bpifrance Création : Généralement, quelles sont les raisons ?
CG : C’est souvent une question d’objectifs mal définis. Il faut savoir pourquoi vous vous lancez dans ce projet et pourquoi vous voulez travailler avec cette entreprise et pas une autre. Les startups ont parfois tendance à utiliser la méthode du filet, c’est-à-dire à ratisser large, pour voir ensuite quels grands groupes mordent à l’hameçon. C’est une erreur !
Je compare souvent ça aux applications de rencontres. On parle à 50 ou 60 personnes dans l’espoir qu’une poignée nous réponde, alors qu’il faudrait plutôt se concentrer sur une seule personne et apprendre à la connaître à fond.
C’est pareil lorsqu’on souhaite collaborer avec un grand groupe. Si vous identifiez une entreprise avec qui ça « match », tant sur les valeurs que sur les projets, alors vous savez que vous êtes sur la bonne voie. Donc n’oubliez jamais que tous les clients ne se valent pas !
Bien sûr, il y a souvent une urgence à trouver des clients et faire du chiffre d'affaires pour atteindre la profitabilité. Mais pour aboutir à une collaboration qualitative et qui pourra se poursuivre dans le temps, il vaut mieux se concentrer sur quelques cibles bien définies plutôt que de présenter le même pitch à toutes les grosses boîtes de son secteur d’activité.
Bpifrance Création : Collaborer avec un grand groupe est-il un gage de pérennité pour une start-up ?
CG : Je dirais que cela dépend beaucoup du projet et de la maturité de la start-up. A-t-elle besoin d’un grand groupe pour tester sa solution ? Cherche-t-elle un client dans une logique de rachat ou afin qu’il devienne son seul et unique partenaire ? Si oui, effectivement une collaboration semble évidente et surtout nécessaire.
En revanche si vous êtes en B to C, vous avez potentiellement moins besoin de tester votre solution avec un grand groupe.
Bpifrance Création : Avez-vous en tête un exemple de collaboration réussie entre un grand groupe et une start-up ?
CG : Tout à fait ! Peu de temps après son lancement en 2018, Morphée, une entreprise dans le secteur du bien-être, a été approchée par le groupe Nature et Découvertes. La collaboration a eu un succès phénoménal et a permis à la jeune pousse de faire connaître ses produits au plus grand nombre.
Bpifrance Création : Un dernier conseil ?
CG : Faites attention aux mythes ! Les startups ont tendance à penser que les grands groupes sont capables de payer pour tout et n’importe quoi parce qu’ils en ont les moyens. Mais c’est très loin d’être le cas. D’ailleurs, s’ils sont parfois assis sur un tas d’or, c’est justement parce qu’ils le dépensent précautionneusement. De même, ces entités sont souvent assez réticentes à partager leurs données et ressources contrairement à ce que peuvent imaginer les jeunes pousses.