
Vous avez une idée, mais pas n’importe laquelle… là on parle de LA bonne idée, celle qui vous fera côtoyer les Xavier Niel et autres pontes de l’entrepreneuriat en moins de trois ans. Vous en êtes certains, personne n’y a jamais pensé avant vous. C’est innovant, impactant, disruptif, alors aucun doute, ça va fonctionner.
Pourtant, après plusieurs mois de dur labeur, force est de constater que ça ne fonctionne pas. La faute à une idée trop ambitieuse ou à un mauvais calibrage du besoin réel ? Peut-être un peu des deux... « Vous savez, il n’y a pas besoin de trouver l’idée qui va révolutionner votre secteur, surtout si vous voulez vous lancer dans la boulangerie ou la plomberie », souligne Naïm Khelkhal, « Une idée différenciante, ou avec une vraie valeur ajoutée, c’est bien sûr important car c’est souvent le point de départ d’un projet. Pour autant, ce qui compte vraiment c’est tout ce qui se passe après cette phase itérative ». Un discours qui a de quoi rassurer toutes celles et ceux qui hésitent à entreprendre par peur de proposer un projet trop quelconque.
Pour en savoir plus sur la meilleure façon de trouver la bonne idée - qu’elle soit originale ou pas - nous avons interrogé Naïm Khelkhal, Directeur National Entrepreneurs dans la Ville (EDLV).
Interview Question/Réponse
Bpifrance Création : En matière d'entrepreneuriat, est-il vrai de dire qu’une bonne idée rime avec succès ?
Naïm Khelkhal : Selon moi non. Une bonne idée ne rime pas forcément avec succès, ce qui prime avant tout c’est l’exécution. De plus, c’est quelque chose de très subjectif, ça peut vouloir dire tout et son contraire. Une bonne idée, ça peut être un projet original, innovant ou tout simplement une entreprise qui fonctionne et qui génère suffisamment de chiffre d’affaires pour rémunérer les personnes qui portent le projet. C’est pourquoi « bonne idée » n’est pas forcément synonyme de « succès ».
Bpifrance Création : Selon vous, quelles sont les questions à se poser pour faire émerger LA bonne idée ?
NK : Il faut forcément qu’il y ait un point de départ, une envie de travailler sur un sujet, un secteur d’activité, voire un problème à résoudre pour trouver la bonne idée. Mais attention, il ne suffit pas d’avoir un concept, il faut le travailler. J’ai déjà eu l’occasion d’entendre des porteurs de projets dire « j’ai eu cette idée, mais elle a déjà été prise par untel ou unetelle ». Selon moi ce genre de remarque ne vaut absolument rien. Ce qui compte c’est tout le travail qu’on fait derrière pour valider ce projet et le transformer en entreprise rentable.
Bpifrance Création : Existe-t-il une recette inratable pour trouver "le bon ADN" qui va nous permettre de connecter l'offre à la demande et pénétrer le marché ?
NK : Non, il n’y a absolument pas de garantie de succès, et c’est ce qui fait la beauté de l’entrepreneuriat. On peut parfois passer des heures, des jours, sur un concept et finalement se rendre compte que ce n’est pas viable. Paradoxalement, il arrive que la clé du succès se trouve dans les enseignements qu’on tire de ses échecs. Comme on dit : « L'important, ce n'est pas la destination, mais le voyage en lui-même ».
Bon nombre de success stories d’entrepreneurs ont été jalonnées de pivots avant d’aboutir à des formules gagnantes. Donc tout n’est qu’apprentissage. Et même lorsque ça fonctionne, n’oubliez pas que rien n’est gravé dans le marbre. Dans un monde en constante évolution, il est essentiel de cultiver sa capacité à s’adapter et à remettre en question son projet.
Bpifrance Création : Et si la demande n'existe pas, est-ce qu’on peut la créer ?
NK : C’est possible. Les films et séries sont assez doués pour nous faire rêver avec des success stories d’entrepreneurs qui ont disrupté des marchés et créé de nouveaux besoins. Néanmoins je ne vous cache pas que dans les faits, ça reste très compliqué. Personnellement, je recommanderais plutôt aux porteurs de projets de se concentrer sur un problème qui existe déjà.
Nous avons aussi besoin de femmes et d’hommes qui entreprennent de façon classico-classique. Par exemple, la boulangerie ou la plomberie sont des métiers très nobles et facilement rentables. De plus, ce ne sont pas des secteurs où il est nécessaire d’aller chercher l’idée du siècle pour que l’entreprise fonctionne.
Bpifrance Création : Beaucoup trébuchent au moment de réaliser leur business plan. Coucher sur le papier l'idée que l'on a en tête n’est pas un exercice facile. Comment accompagnez-vous les entrepreneurs dans cette étape charnière ?
NK : Chez Entrepreneurs dans la Ville (EDLV), on ne se focalise pas vraiment sur l’idée car on sait très bien qu’elle va être amenée à changer.
Par le biais d’une méthode que nous avons développée en partenariat avec l’EM Lyon Business School, nous savons que la majorité des entrepreneurs qui intègrent notre programme d’accompagnement ne développeront pas leur idée à 100%, c’est pourquoi on les challenge.
Ils ont souvent une idée de projet basée sur une expérience personnelle. Ils ont identifié un problème mais n’ont pas forcément validé l’idée. C’est pourquoi notre objectif est de leur permettre de déterminer si le problème est suffisamment important pour que des gens aient envie de payer pour le résoudre.
En ce sens, on leur propose des ateliers de design thinking et des moments d’échange avec divers utilisateurs potentiels. L’objectif est d’ôter tout biais de confirmation de leur projet, mais également leur permettre d’acquérir suffisamment de compétences pour changer de direction si nécessaire.
Bpifrance Création : Diriez-vous qu’avec une bonne com', le succès entrepreneurial est garanti ?
NK : Non, une bonne com’ n’est pas forcément synonyme de succès. Et un succès commercial peut ne pas être un succès financier. Il arrive que des entreprises aient énormément de visibilité, des concepts qui font parler d’eux, mais que paradoxalement elles ne parviennent pas à convertir cette notoriété en rentabilité. A l’inverse, il existe des entreprises qui font le choix de se passer de communication car elles estiment que l’offre trouve naturellement son public.
L’important c’est de trouver le bon équilibre.
Bpifrance Création : En général, quels conseils donnez-vous aux entrepreneurs qui sont à cette étape de leur parcours ?
NK : Sans surprise, mon premier conseil c’est bien sûr de se faire accompagner. Il existe de nombreuses structures, dont celles du collectif Cap Créa, qui ont l’expertise pour les épauler dans la formalisation et l’affinage de leur projet. C’est pourquoi il ne faut pas hésiter. Le projet n’en sera que plus robuste.
Mon deuxième conseil va dans la continuité du premier : il ne faut pas garder son idée pour soi. C’est pourquoi je leur recommande d’en parler à des utilisateurs potentiels, qu’il s’agisse de leur famille, d’amis, de collègues, ou de toute autre cible. J’entends souvent les entrepreneurs dire qu’ils ne souhaitent pas parler de leur idée par peur qu’on la leur vole. C’est dommage ! Ce qui compte ce n’est pas l’idée, c’est ce que vous en faites !