La génération Y sera une génération d'entrepreneurEs !

32 % des entreprises nouvellement créées le sont par des femmes. Etes-vous satisfaite de ce pourcentage ?

Oui et non. En comparaison de la moyenne européenne, on pourrait se féliciter de ce pourcentage, qui a tout de même évolué positivement ces dernières années : on est en effet passé en cinq ans de 28 à 30 %, puis à 32 % (en incluant les auto-entrepreneures). Cependant, derrière ce chiffre se cachent des réalités complexes et moins satisfaisantes. Tout d’abord des espoirs déçus car le pourcentage de personnes ne concrétisant pas leur envie de créer est plus important chez les femmes ; il y a là une réelle déperdition de projets. On note ensuite chez les femmes entrepreneures une difficulté certaine à développer leur entreprise, qui est et demeure, dans la majorité des cas, de petite taille. C’est une des spécificités de l’entrepreneuriat féminin.L’ambitieux objectif de 40 % fixé par nos ministres requiert donc une mobilisation de tous les acteurs… mais pourquoi pas !

Vous parlez de déperdition de projets. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce que je constate quotidiennement, et qui est conforté par les études menées sur ce sujet, c’est que les femmes sont autant, voire plus désireuses que les hommes de créer une entreprise. Elles ont en effet, par rapport aux hommes, des raisons particulières d’entreprendre. D’une part, elles sont plus souvent déçues du salariat car elles se heurtent pour beaucoup à un plafond de verre qui les empêche de progresser comme elles le souhaiteraient. D’autre part, elles subissent davantage la crise que les hommes, notamment les plus âgées. C’est une réalité : le taux de chômage chez les femmes est plus important que chez les hommes. Enfin, et cela touche cette fois-ci les jeunes femmes, elles réalisent, au moment où elles vont vouloir articuler vie de famille et vie professionnelle, que créer une entreprise leur permet de travailler "à leur mode", en fonction de leur timing.Il y a donc un réservoir d’envies très important chez les femmes. Malheureusement, le taux de transformation reste insuffisant.

Quel est, selon vous, le principal frein à l’entrepreneuriat féminin ?

Pour moi, il y a deux freins majeurs. Le premier est externe ou systémique : on a encore du mal à projeter une femme dans le rôle d’entrepreneur. Pour beaucoup, un entrepreneur, c’est un homme !  C’est l’image que l’on nous renvoie en culture d’organisation. Une femme doit donc "surprouver" sa capacité à entreprendre dans le système en général. Le deuxième frein reste - même si les choses changent chez les plus jeunes (la "génération Y") - l’aversion au risque. Les femmes se mettent des "freins moteurs internes" : on parlera de "complexes" ou de "stéréotypes", qu’elles ont intégrés au plus profond d’elles-mêmes, et qui vont se traduire par un manque de confiance en elles. J’entends fréquemment les femmes dire : "Je ne suis pas capable de…", "Je préfère démarrer petit…", etc. Or, l’entrepreneuriat, c’est tout de même une prise de risque. Il faut le dire ! Le risque est intrinsèque à l’entreprise. Les femmes ne sont pas "au clair" avec ça et se mettent elles-mêmes des barrières au démarrage et surtout au développement.

C’est pour cette raison que les femmes créent majoritairement des structures de très petite taille ?

C’est la principale raison en effet. Mais ce n’est pas la seule. Il y a également un facteur lié à l’activité. Les femmes s’orientent  à priori plus fréquemment dans les services en direction des personnes, dans le secteur de la santé, de l’enseignement… domaines dans lesquels on retrouve beaucoup de TPE. Et puis, elles disposent également de moins de capital personnel en général (la moyenne européenne est de 4 000 euros), sollicitent moins les réseaux de financement et sont réticentes à faire entrer des investisseurs dans leur entreprise de peur d’en perdre le contrôle. Cela leur fait parfois louper des opportunités. Il y a pourtant des moyens d’adopter une stratégie, une structure juridique qui permet dans une certaine mesure de contourner ce problème.De ce fait et pour revenir à votre première question, le taux de 32 % est pour moi satisfaisant, mais si l’on prend uniquement en compte celles qui se donnent les moyens de développer une ETI, on tombe alors dans des taux de transformation excessivement faibles.

Pouvez-vous nous parler du programme "Entreprendre au Féminin-Essec". Pourquoi avoir créé une formation à l'entrepreneuriat dédiée aux femmes ?

Ce programme existe depuis 8 ans et je dois bien reconnaître que l’approche "dédiée" était assez pionnière. Il n’était alors pas évident de revendiquer la "gender approach", un peu tabou. J’ai d’ailleurs encore des collègues qui contestent le concept même d’une formation réservée à des femmes porteuses de projets !Je me suis cependant accrochée à cette idée, car on sait aujourd’hui qu’il y a des spécificités en matière d’entrepreneuriat féminin, spécificités que j’intègre désormais dans l’enseignement. J’ai pu les toucher du doigt dans des travaux sur le sujet et elles ont été confortées depuis par d’autres études tant anglo-saxonnes que françaises. L’APCE s’est d’ailleurs également intéressée au sujet et a récemment mis en avant ces caractéristiques genrées.

Comment se concrétise cette nouvelle approche dans votre enseignement ?

Je "libère la parole" ! L’idée est que les participantes du programme doivent pouvoir exprimer leurs doutes et questions dans un univers bienveillant. Au regard de mon expérience, ces femmes attendent qu’on évoque les freins et stéréotypes par défaut pour partager et j’espère s’en libérer... et ainsi être en mesure de prendre de la hauteur ! Il s’agit de les décomplexer, de leur dire "vous avez le droit d’oser et on va vous y aider". En France, il y a des dispositifs d’accompagnement performants dédiés aux femmes. Or, elles n’ont pas conscience de cet environnement encourageant. Combien d’entre-elles connaissent le FGIF par exemple ?Les questions préalables dans la formation sont : "Pourquoi vous êtes là ?" et "Pourquoi on doit vous donner les moyens de vous libérer de ces stéréotypes par défaut qui agissent comme des bêta-bloquants ?".  C’est seulement après cette étape que sont développés les aspects techniques du projet : stratégie, finances, droit, marketing, business-plan…

Quelles sont les autres particularités de cette formation ?

Cette année, nous avons refait un pilote en conservant l’esprit et les fondamentaux mais en intégrant du e-learning. Un partenariat avec la TV des Entrepreneurs nous permet de proposer une phase d’auto-apprentissage avec des parcours selon les profils et besoins. Ensuite interviennent des ateliers spécifiques sur les aspects techniques (Droit, finances , etc.) qui agissent comme des  séances collectives d’elevator pitch ; enfin un jury composé de réseaux professionnels féminins et d'institutionnels engagés (FBS, Action'elles, Paris Pionnières, France Active, PWN) indiquent les points forts et faibles pour les guider et le cas échéant les accueillir (incubateur, fonds d'investissement, etc.).

Qui peut participer à ce programme ?

Ce programme est dit "de formation permanente", mais les frontières explosent et tant mieux ! La sélection ne se fait ni sur l’âge ou le diplôme mais sur la personne, sa motivation et la qualité de son idée. La plus jeune à l’avoir suivi avait 17 ans et passait son Baccalauréat ! Cette année, l’accès des Ateliers "Entreprendre au féminin" est ouvert à des jeunes de l’Essec dans le cadre des actions "Egalite H/F" dans lesquelles l’Essec s’est engagée (Charte de la Conférence des Grandes Ecoles).  Ce programme à temps partiel et en grande partie à distance convient donc à tous les profils : salariées ou pas, en recherche d’emploi, en profession libérale, créatrices ou jeunes entrepreneures ayant besoin de consolider leur projet…Il est arrivé, qu’après avoir finalisé son étude de faisabilité, l’une d’elles change de projet en cours de route. Il est également arrivé que deux d’entre elles se rencontrent et décident de travailler en équipe. Naturellement nous acceptons les projets portés par une équipe mixte. Enfin, je vois arriver de plus en plus de jeunes, notamment issues de la diversité : la génération Y sera une génération d’entrepreneures !

Vous vous passionnez pour la génération Y. Les freins dont nous avons parlé précédemment ont-ils une chance de disparaître dans les années à venir ?

J’en ai la conviction et je prépare d’ailleurs un livre qui sera intitulé "Les Y entreprennent autrement". Je pars de l’idée que les Y, au-delà de leur niveau d’étude et  du type de projet qu’elles préparent, partagent des caractéristiques communes : elles ont tout compris ! Elles osent, s’entourent, vont chercher l’information, maîtrisent parfaitement les réseaux sociaux. Elles passent du temps dans la préparation de leur projet, connaissent leurs points faibles, identifient les parades… et montent en gamme, car elles appréhendent toutes les problématiques de l’entreprise.Selon elles, il n’y a aucun risque à entreprendre, sinon celui de réussir. Elles travaillent une ou deux années pour mettre de l’argent de côté puis se donnent du temps pour monter leur projet. Elles travaillent sur leur notoriété, se constituent un réseau, vont sur les salons, ont des blogs… et surtout elles se projettent à 3 ans, à 5 ans : si ça marche, elles revendront leur entreprise pour lancer d’autres projets et si ça ne marche pas, ce n’est pas grave car elles sont persuadées que cette expérience très enrichissante sera un plus pour leur CV. Bref, elles me bluffent ! Je vais donc les faire témoigner et favoriser les échanges intergénérationnels. Ça donnera des idées aux plus âgées. Ça les fera bouger !

Propos recueillis en octobre 2014 par Laurence Piganeau

 
Octobre 2014