L'innovation comme raison d'être

Vous avez fait de l'innovation un leitmotiv de votre parcours professionnel, quelle en est votre définition et quelles sont les conditions qui favorisent l'innovation au sein d'une entreprise ?

Innover, c'est remettre constamment en cause l'ordre établi. C'est avoir cette capacité à bouleverser l'existant. Dans une entreprise, il faut être capable de remettre en cause les structures hiérarchiques pour ne pas tuer les processus créatifs dans l'œuf, et pour ne pas limiter la prise d'initiative et l'esprit d'entreprise qui doivent être des notions centrales, même au sein d'une structure installée. Bien sûr, il faut également être capable de réunir les bons talents au même endroit et leur offrir les conditions idéales pour s'épanouir. De manière assez basique mais toujours très vraie, un jeune diplômé talentueux sera plus innovant s'il est responsabilisé, s'il doit faire face à des challenges, si son environnement de travail est agréable et s'il est bien payé ! Enfin, l'esprit d'innovation est avant tout une mentalité qu'il faut savoir transmettre et partager. Elle s'illustre à travers le “Think different” d'Apple. C'est un goût du mouvement, qui pousse à sortir de sa zone de confort, à oser, et à oser plusieurs fois face à l'échec. Et par là je n'entends pas faire feu de tout bois, l'innovation recouvre cette idée de progrès, elle implique d'être capable de se doter d'une grille de lecture du monde, pour oser dans le bon sens.

Vous êtes le fondateur et Pdg de « faberNovel » qui est une agence d'innovation, pouvez-nous dire en quoi consiste votre métier ?

FaberNovel est une aventure qui aura 10 ans cette année. Et même si c'est une entreprise bien réelle, qui emploie plus de 70 personnes de Paris à San Francisco en passant par New York et Moscou, j'aime présenter faberNovel comme un mouvement. Et comme son nom l'indique un mouvement dédié à fabriquer du nouveau. Cela passe par une multitude d'activités. Au centre, on trouve le travail d'agence à proprement parler, une activité de service qui consiste à associer les technologies, le design et les usages émergents pour inventer de nouveaux produits, services et expériences pour nos clients, principalement des grands groupes qui souhaitent tirer le meilleur du digital. Mais c'est une partie seulement de l'activité de faberNovel. Nous développons également une activité d'investissement afin de pousser des jeunes startups ou de soutenir des initiatives innovantes. Nous gérons, selon le site américain Business Insider, un des meilleurs espaces de coworking de San Francisco, PARISOMA. Nous développons également une activité d'évangélisation très importante, à travers des événements comme le récent APIdays, premier événement international européen sur les APIs , qui a aujourd'hui fait des petits tout autour du monde.

Vous valorisez notamment un modèle « d'excubation » qui s'adresse à de grandes entités, en quoi est-il différent d'autres modèles de soutien à la création d'entreprises comme l'essaimage ou l'intrapreneuriat ?

Ce que nous appelons excubation s'inscrit dans la lignée de l'intrapreneuriat ou de l'essaimage. C'est un modèle opportuniste, nous n'avons pas de programme ou de planning précis. Simplement, notre activité de service nous permet d'être en contact permanent avec les dernières innovations et tendances en termes d'usages et de technologie. Nous posons un regard prospectif sur le monde. Dans ce contexte, nous identifions régulièrement des opportunités qui méritent une structure indépendante pour se donner les moyens de réussir. Une fois que nous sommes convaincus de la viabilité du projet, nous le laissons prendre son envol, souvent avec un “désormais ancien” employé de faberNovel à sa tête. Notre dernière excubation en date est celle de Bureaux à Partager, qui met en relation des professionnels qui cherchent à partager des locaux et s'inscrit dans la tendance forte de l'économie collaborative.

Dans le cadre de votre mission à la tête du pôle de compétitivité Cap Digital, vous avez déclaré vouloir tout « faire pour que Paris soit la deuxième place internationale après la Silicon Valley », comment y parvenir ?

La réussite d'un secteur économique, quel que soit le domaine d'activité, mais plus encore dans le domaine du digital, tient beaucoup à la vigueur de son écosystème. L'écosystème parisien, cela fait plus de 10 ans que je m'attache avec beaucoup d'autres à le faire vivre et à lui faire prendre conscience de sa force. Car en effet, l'émulation tient au fait de se connaître, de se rencontrer et collaborer. C'est un des atouts majeurs de la Silicon Valley aujourd'hui. Une toute petite région du monde parfaitement identifiée comme le centre névralgique des nouvelles technologies et de l'économie numérique. Derrière les géants Google ou Facebook, c'est tout un écosystème qui est sans cesse débattu et discuté à travers les caisses de résonnance que sont les événements comme SXSW au Texas ou les médias comme le magazine américain Wired. Il faut créer le même foisonnement, en France. C'est pourquoi, je m'attache à travers faberNovel ou Cap Digital à faire se rencontrer les grands acteurs et les jeunes pousses, à faire parler du numérique à travers des événements comme Futur en Seine, en un mot, à créer des synergies.

Silicon Sentier, dont vous êtes aujourd'hui Président d'honneur, a contribué à diffuser en France de nouvelles manières d'entreprendre avec les espaces de coworking (La Cantine), les accélérateurs (Le Camping), les BarCamps (rencontre ouverte et participative)…quels sont les nouveaux projets de l'association ?

L'ambition de Silicon Sentier est toujours la même : connecter les acteurs, évangéliser, agir pour l'innovation et le numérique à Paris et en France. Dans cette optique, et dans la lancée de succès comme La Cantine, et bien sûr Le Camping, l'association est aujourd'hui en train de s'agrandir. Ce passage dans une nouvelle dimension s'incarne aujourd'hui à travers un nouveau lieu qui a pour ambition de réunir toutes les initiatives de Silicon Sentier. Il ouvrira ses portes en septembre et a pour vocation d'être un espace de partage de vie et d'échange, une frontière entre le réel et le numérique. En tout, ce sont plus de 1500 m2 qui permettront à Silicon Sentier de proposer plus d'événements, plus de coworking, un incubateur plus efficace et une plateforme de rencontre entre les grands groupes et les petites startups, entre les académiques et les professionnels, entre les curieux novices et les experts confirmés... Et parce que ce lieu appartiendra à tous ceux qui le peupleront, la campagne de crowdfunding « Co.Bâtissons » a été lancée pour permettre à ceux qui participent au financement des travaux d'inscrire leur nom au sein même de l'espace.

En tant qu'organisateur du Festival du numérique « Futur en Seine » et participant aux Assises de l'entrepreneuriat, vous avez été amené à imaginer « l'Entreprise du futur », quel sera son visage ?

Ma vision de l'entreprise du futur suit la même logique que Futur en Seine qui est un festival très concret. Il met sur le devant de la scène des acteurs qui imaginent le futur, mais surtout des acteurs qui prennent des risques pour le réaliser. Imaginer l'entreprise du futur, ce n'est donc pas être dans le fantasme. Je mets d'ailleurs tout en œuvre pour la réaliser au quotidien à travers faberNovel. En effet, en tant que startup, nous inventons de nouveaux services et produits, mais nous redéfinissons aussi de nouveaux espaces, de nouvelles interactions et relations de travail. Un exemple parmi d'autres : nous organisons des "faberDej" une rencontre-conférence à l'heure du déjeuner entre un intervenant extérieur (ingénieur, sociologue, entrepreneur...) et l'équipe. L'entreprise du futur est à mes yeux cet ensemble, elle s'attache aussi à reconsidérer ses employés et favoriser leurs initiatives.

Vous êtes également un acteur engagé pour la mise en valeur de la France et de ses entrepreneurs à l'international, quelle vision portez-vous du « modèle français » ?

Comme je le disais il y a quelques jours au media l'Opinion, la French Touch, dans le digital et ailleurs, c'est un mélange dosé de tradition et d'avant-garde avec ses bons côtés comme la force de l'ancrage et de l'héritage, mais également avec le côté sclérosant que cela peut impliquer. Plus que promouvoir un “modèle français”, ces initiatives ont pour objectif d'insuffler la volonté d'entreprendre en France. Car ce sont les jeunes entreprises innovantes qui font la différence et permettent à une économie de créer de la valeur et des emplois.

Quelles sont les principales innovations technologiques à venir dans le secteur du numérique qui viendront modifier demain le quotidien des entrepreneurs ?

Il est assez rare que l'innovation soit purement technologique, et les adeptes du “technocentrisme” proposent souvent des grilles de lecture incomplètes. Je préfère voir l'innovation numérique comme un cocktail qui serait à chaque fois un subtil mélange d'opportunités d'usages, de ruptures technologiques et de vision business. Le projet Glass de Google est un bon exemple. Ils proposent aujourd'hui une technologie inédite, sur un appareil tout aussi nouveau. Mais pour savoir si ces fameuses lunettes vont bouleverser le quotidien des entrepreneurs et des autres, il reste à identifier les usages potentiels au quotidien ainsi que l'acceptabilité du produit. Il reste également à dessiner des opportunités de business pour qu'un écosystème d'entreprises décide de lancer des projets d'applications « Glass ». C'est pourquoi, chez faberNovel nous sommes en train de mettre en place un “Lab” dont l'objectif est de réunir des grands groupes français pour réfléchir aux usages futurs et aux applications possibles autour des lunettes de Google.

Propos recueillis par Vincent Le Brech en juin 2013

Juillet 2013