Dans cet article :
Le droit au bail et le pas-de-porte : deux notions clés lorsqu’il est question d’immobilier commercial, souvent confondues, mais aux implications bien distinctes.
Le droit au bail représente bien plus qu’un simple contrat : c’est un véritable actif stratégique pour l’entreprise, garant de stabilité, de visibilité et de valorisation patrimoniale. Sa cession, encadrée par un régime juridique et fiscal précis, peut soulever des questions complexes.
Mais attention : ce droit ne doit pas être assimilé au pas-de-porte, dont la nature et les effets diffèrent sensiblement. Comprendre cette distinction est essentiel pour sécuriser les opérations et éviter les mauvaises surprises.
Le droit au bail : définition
Le droit au bail constitue, pour le locataire commercial, le droit d'occuper un local adapté à son activité, d’obtenir le renouvellement de son bail ou une indemnité d’éviction en cas de refus, mais aussi de céder son bail, sous conditions, à un nouveau locataire.
Plus largement, le droit au bail permet au locataire de bénéficier du statut protecteur des baux commerciaux.
Le droit au bail fait partie intégrante du fonds de commerce et jouit à ce titre d’une valeur patrimoniale.
Dans le cadre d’une cession du fonds de commerce, le droit au bail est cédé automatiquement avec les autres éléments du fonds (clientèle, enseigne, contrats de travail et d’assurance, outillage, mobilier, etc.), sans qu’il soit nécessaire de le valoriser ou de le négocier séparément.
En revanche, le droit au bail peut également faire l’objet d’une cession isolée, dans les conditions du bail en cours (ex : agrément du repreneur par le bailleur).
Les cas de cession isolée du droit au bail
Dans certaines circonstances, le locataire ne cède pas son fonds, mais uniquement son droit d’occupation des locaux. Par exemple :
- Un commerçant peut décider de cesser son activité sans transmettre sa clientèle et ses actifs commerciaux. Il souhaite simplement valoriser l’emplacement qu’il occupait, souvent bien situé ou avec un loyer avantageux. Il cède alors le droit d’occupation des locaux à un tiers, qui y exercera une activité différente. Par exemple, un libraire cesse son activité et vend son droit au bail à une enseigne de prêt-à-porter.
- Le locataire peut vouloir déménager pour des raisons pratiques (surface trop petite, mauvaise configuration, etc.) tout en conservant son fonds de commerce. Il cède alors uniquement le droit au bail du local qu’il quitte.
- Dans le cadre d’une restructuration d’entreprise, il peut être stratégique de céder certains baux sans céder les activités correspondantes (ex. : filialisation, recentrage géographique).
- En cas de difficultés financières, le locataire qui ne trouve pas de repreneur pour son fonds de commerce peut être contraint de céder son droit au bail seul pour rembourser ses créanciers.
Comment évaluer le droit au bail ?
Lorsqu’il cède son droit au bail, le locataire sortant demande généralement une compensation financière au locataire entrant, appelée « prix du droit au bail ».
Les facteurs influençant la valeur du droit au bail
Le droit au bail n’a pas de valeur fixe. Son montant est librement déterminé par les parties, et peut être influencé par plusieurs facteurs notamment :
- le montant du loyer ;
- l’emplacement : zone géographique, accessibilité, flux de passage, etc. ;
- la durée restante du bail : plus elle est longue, plus le droit au bail est valorisé ;
- l’état du local : rénové ou à rénover ;
- les clauses du bail commercial : révision du loyer, activités autorisées, sous-location, cession, etc. Par exemple, la présence d’une clause instituant un droit de préemption accordant au locataire la priorité pour l’achat du local commercial en cas de vente augmente la valeur du droit au bail.
Les méthodes d’évaluation
Plusieurs méthodes d’évaluation coexistent. Elles peuvent être combinées pour obtenir une valorisation plus pertinente :
- La méthode comparative : elle consiste à comparer le local commercial concerné avec d’autres biens similaires dans la même zone géographique. Lorsque le loyer pratiqué est inférieur aux tarifs du marché, l’économie de loyer générée se traduit par une valorisation plus importante du droit au bail.
- La méthode par le revenu : on estime la rentabilité générée par l’activité dans le local. Plus le chiffre d’affaires ou les bénéfices sont élevés, plus le droit au bail est valorisé. Les locaux situés dans des zones à forte fréquentation ou en plein développement ont une valeur plus élevée. Cette méthode est particulièrement utile pour les entreprises dont les revenus sont directement liés à l’emplacement.
- La méthode par le coût : on prend en compte les coûts de rénovation ou d’aménagement réalisés par le locataire. Ces investissements peuvent justifier une valeur ajoutée au droit au bail
Il est recommandé de faire appel à un avocat spécialisé en droit commercial ou à un professionnel de l’immobilier expert en cession de fonds de commerce et de droit au bail pour réaliser l’évaluation du droit au bail.
Encadrement contractuel de la cession du droit au bail
La cession du droit au bail peut être encadrée par certaines clauses du bail commercial :
- La clause d’interdiction : elle interdit purement et simplement la cession isolée du droit au bail.
Attention : le bailleur ne peut pas interdire la cession du droit au bail dans le cadre d’une cession de fonds de commerce. - La clause d’agrément : sans interdire, elle soumet la cession à l’accord du bailleur. En cas de refus, la jurisprudence admet de manière constante que le bailleur doit justifier sa décision sur la base de critères légitimes (par exemple, les compétences ou la solvabilité du repreneur).
- La clause de garantie solidaire : elle maintient le locataire sortant responsable du paiement des loyers. En cas de défaillance du nouveau locataire, le bailleur peut se retourner contre le cédant. Cette garantie solidaire est limitée à 3 ans à compter de la cession.
- La clause de destination : elle permet au bailleur de restreindre l’activité pouvant être exploitée par le locataire. Par exemple, il peut interdire les activités nécessitant des aménagements techniques particuliers (ex : système de ventilation dans les cuisines d’un restaurant) ou les activités susceptibles de troubler le voisinage (ex : bar et boîte de nuit, atelier de mécanique, sex-shop).
La cession du droit au bail a des implications fiscales, tant pour le cédant et que pour le repreneur.
Du point de vue du cédant
Le montant perçu lors de la cession du droit au bail est intégré dans le résultat fiscal de l’entreprise au titre des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
Il s’agit d’un produit exceptionnel, qui peut générer une plus-value professionnelle. Cette plus-value sera imposée à l’IR ou à l'IS selon le régime du cédant.
Pour en savoir plus sur la fiscalité applicable aux plus-values professionnelles
Du point de vue du repreneur
Lors du rachat du droit au bail, le repreneur doit s’acquitter d’un droit d’enregistrement versé à l’administration fiscale.
Le montant du droit d’enregistrement est fixé de la manière suivante :
Fraction du prix d'achat (ou de la valeur vénale) | Taux du droit d'enregistrement |
---|---|
Prix d'acquisition inférieur à 23 000 € | 0 % |
Prix d'acquisition compris entre 23 000 € et 200 000 € | 3 % |
Prix d'acquisition supérieur à 200 000 € | 5 % |
Le cédant et le repreneur peuvent s’entendre dans l’acte de cession pour partager le paiement de la taxe.
L’amortissement du droit au bail n’est pas déductible fiscalement. En revanche, la dépréciation est déductible si sa valeur diminue de manière durable (ex : baisse de fréquentation, changement de réglementation).
Sur le plan comptable, le droit au bail acquis est inscrit à l’actif du bilan en tant qu’immobilisation incorporelle.
Formalités de la cession du bail
La cession du droit au bail implique de réaliser certaines formalités :
- Vérifier si la commune peut exercer son droit de préemption
Lorsque le local est situé dans un « périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité », le cédant doit informer la mairie de son intention de céder le droit au bail, en utilisant le cerfa n°13644.
La commune dispose alors d’un délai de 2 mois pour exercer son droit de préemption, lui permettant d’acquérir le droit au bail en priorité afin de préserver l’activité commerciale locale. À défaut de réponse dans ce délai, la commune est réputée avoir renoncé à son droit de préemption, et la cession peut se poursuivre librement.
- Rédiger le contrat de cession
La cession du droit au bail doit être constatée par écrit, par acte authentique (rédigé par un notaire ou un commissaire de justice) ou par acte sous signature privée.
L’acte doit contenir certaines mentions, notamment :
- l’identité du cédant et du cessionnaire
- la désignation du local (adresse, superficie, activité autorisée)
- le prix de cession et les modalités de paiement
- la date de prise d’effet
- les garanties éventuelles
Un état des lieux, établi entre le bailleur et le locataire sortant, ou par un tiers mandaté par eux, est annexé au contrat de cession.
- Signifier la cession au bailleur
La cession doit être signifiée, par acte de commissaire de justice, au bailleur du local commercial. La signification doit avoir lieu avant la prise de possession des locaux par le locataire entrant.
Cette formalité rend la cession opposable au bailleur. A défaut, le bailleur peut refuser de reconnaître le nouveau locataire, refuser le renouvellement ou résilier le bail commercial.
- Enregistrement de l’acte au service des impôts
Comme expliqué plus haut, le repreneur du bail doit enregistrer la cession et régler un droit d’enregistrement à l’administration fiscale.
L’enregistrement doit être réalisé dans un délai d’un mois à compter de la cession.
Quelle est la différence entre le droit au bail et le pas-de-porte ?
Pour rappel, le droit au bail est le droit du locataire à occuper le local commercial, selon les conditions du bail en cours. Lorsqu’il est cédé par le locataire sortant, le nouveau locataire lui verse généralement une rémunération appelée « prix du droit au bail ».
Il ne doit pas être confondu avec le pas-de-porte, qui est une notion bien distincte.
Le pas-de-porte : définition
Le pas-de-porte (ou « droit d’entrée ») est une somme versée par le locataire au bailleur, lors de la conclusion du bail commercial et éventuellement à son renouvellement.
Le pas-de-porte peut prendre la forme :
- soit d’un supplément de loyer, par exemple lorsque le loyer pratiqué est en deçà du loyer normal du marché,
- soit d’une indemnité compensatrice d’occupation : le pas-de-porte est vu comme une contrepartie forfaitaire versée au bailleur pour compenser une privation de jouissance ou une perte de valeur locative.
Cette somme peut être versée en une fois ou de manière échelonnée, selon les termes du contrat de bail.
En pratique, le bailleur peut utiliser le pas-de-porte pour valoriser un emplacement attractif ou pour compenser une limitation de l’augmentation du loyer due au plafonnement légal.
Le pas-de-porte n’est pas un dépôt de garantie, il n’est pas restitué à la fin de la relation commerciale.
Conséquences fiscales de la qualification du pas-de-porte
La qualification du pas-de-porte (supplément de loyer ou indemnité) entraîne des conséquences fiscales et comptables importantes.
- Pas-de-porte considéré comme un supplément de loyer
- Pour le bailleur, le pas-de-porte est imposable (revenus fonciers, BIC ou IS) et est soumis à la TVA (s’il est assujetti à cette taxe).
- Pour le locataire, le pas-de-porte est une charge déductible des résultats, sous conditions. Cette déduction doit être répartie sur la durée du bail.
- Pas-de-porte considéré comme une indemnité
- Pour le bailleur, aucune imposition ne frappe l'indemnité. Elle n’est pas soumise à TVA non plus.
- Pour le locataire, le pas-de-porte représente un élément incorporel inscrit à l'actif du bilan. L’amortissement du pas-de-porte n’est pas déductible fiscalement.
Pour apprécier la nature réelle de la dépense, il convient de tenir compte non seulement des clauses du bail et du montant des sommes stipulées mais aussi du niveau normal des loyers correspondant aux locaux ainsi que, le cas échéant, des avantages offerts par le propriétaire.
En pratique, un versement unique et forfaitaire tend à être qualifié d’indemnité, tandis qu’un versement échelonné peut être vu comme un supplément de loyer.
Textes de références
Foire aux questions
Le pas-de-porte est une somme versée par le locataire au bailleur, lors de la conclusion du bail commercial et éventuellement, à l’occasion de son renouvellement. Plus rarement, ce droit d’entrée peut être exigé au moment de la cession du droit au bail, à condition que ce soit prévu dans le bail commercial.
Le nouveau locataire (le cessionnaire) doit donc être vigilant. Lorsqu’il acquiert le bail commercial, il peut se retrouver à devoir payer deux sommes distinctes :
- une au locataire sortant pour le droit au bail,
- et une au bailleur pour le pas-de-porte.
Lorsque le bail contient une clause d’agrément, le bailleur peut exiger d’être consulté avant toute cession. Toutefois, la jurisprudence admet de manière constante que le refus du bailleur doit être fondé sur un motif légitime, par exemple, la solvabilité douteuse du cessionnaire, une activité incompatible avec la destination des lieux ou le non-respect des clauses du bail (ex : dépôt de garantie, caution).
Un refus fondé uniquement sur la volonté d’obtenir un loyer plus élevé ou une indemnité supplémentaire est considéré comme abusif. Dans ce cas, le locataire peut saisir le juge pour obtenir une autorisation judiciaire de céder le bail. Et si le refus du bailleur a causé l’échec d’une cession et un préjudice financier, il peut être condamné à verser des dommages-intérêts.